Le poids des anciens

Le poids des anciens

Plus on est vieux, plus on risque d’être souvent malade. Et le système de santé s’en porte plus mal. Heureusement, il y a des remèdes… souvent reniées au minimum.

Louis-Martin Tard, Les Diplômés, n° 348, hiver 1985

En 1981, sur 6 470 227 Québécoises et Québécois, 569 380 avaient plus de 65 ans. Selon les projections, ce taux de 8,8% passera à 9% en 1986, à 11% en 1991, à 12″/. en 1996.

Mais, ajoute Colette Tracyk (administration de la santé, 1979), dans la région de Montréal, la plus «vieille» de la Province, les pourcentages sont supérieurs : sur cent personnes en 1986, 12 auront plus de 65 ans. En 1991, elles seront 14 et, en 1996, 16. Et les budgets suivront.

«En 1982-1983, les sommes affectées par le ministère des Affaires sociales pour les services sociaux et les services de santé destinés aux personnes âgées se chiffraient à un milliard 760 millions, soit 28,6% du budget du Ministère», déclare Céline Olivier (andragogie, 1980), adjointe au bureau de la sous-ministre du MAS.

Un as de pique !

Cet effort de solidarité ne fera que s’accroître dans notre collectivité. La chute impressionnante de la fécondité et l’allongement de la vie moyenne ont modifié le profil de la pyramide des âges. Hier bien assise sur une large base, cette pyramide commence à présent à ressembler à un as de pique !

«De plus en plus, dit André-Pierre Contandriopoulos, une population active décroissante devra assumer les prestations versées à une population en situation de dépendance. Mais c’est dans cinquante ans environ que se fera vraiment sentir la charge que les jeunes générations auront à subir de la part des anciennes.»

Autre effet: la féminisation constante de la strate des personnes âgées. L’espérance de vie des femmes est plus longue de dix ans que celle des hommes. Vers l’an deux mil, le camp de l’âge d’or comptera une vaste proportion de dames, pour la plupart seules, le plus. Elles n’auront pu en effet ajouter, à la pension universelle de vieillesse, le bénéfice de leurs épargnes, des retraites complémentaires et autres REERs.

Une gageure à remporter

Au poids de la vieillesse s’ajoute fréquemment celui de la maladie et de l’invalidité.

«La gageure de notre collectivité », dit encore A.-P. Contandriopoulos (il enseigne à l’Université au Département d’administration de la santé et fait partie du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé), « sera de faire en sorte que les gens, amenés à vivre plus longtemps, demeurent exempts de maux qui les laissent à la charge de la société.»

Il y a des personnes âgées heureuses. Elles ont passé le cap des 65 ans en conservant la grande forme, ont trouvé des loisirs à leur goût, vivent dans un milieu familial harmonieux ou encore, si elles sont seules, ont trouvé une résidence pourvue de bons services.

Le docteur Maurice Jobin est justement attaché à une résidence où vivent 250 personnes âgées «autonomes», c’est-à-dire capables de manger, de se vêtir, de se déplacer seules.

«Il faut veiller constamment à ce que ces vieillards évitent les maladies de leur âge : arthrite, hypertension, artério-sclérose, difficultés cardiaques.  S’ils deviennent impotents, le Centre ne peut les garder.»

La perte d’autonomie

Que deviennent les personnes âgées en perte d’autonomie? Colette Tracyk, responsable du programme de planification et de programmation des services d’hébergement et de soins prolongés pour la région de Montréal, est catégorique.

« Avant tout, essayer de les garder le plus longtemps possible à domicile et les pourvoir de services en fonction de leurs besoins. Éviter de les envoyer en institution. » En dernier recours, il y a les centres d’accueil médicalisés. Ceux du secteur privé qui s’autofinancent, ceux dits conventionnés dont 80% des services sont payés par le gouvernement, ceux qui sont propriété de l’État, gérés par le ministère des Affaires sociales. Et, hélas ! les centres clandestins. « Plus on en ferme, plus il s’en ouvre », ajoute Colette Tracyk.

Les centres d’accueil refusent tous du monde. Certains sont des établissements quatre étoiles à 2 000 dollars et plus par mois, d’autres sont des garderies pour vieillards qui fournissent une piètre assistance ; quelques-uns, encore pire, sont de véritables mouroirs.

Un lit de moins !

Il y a aussi les hôpitaux. Là encore, les listes d’attente sont longues dans les unités gériatriques et l’hôpital destiné aux soins aigus ou prolongés évite de s’encombrer de malades chroniques âgés. Il faut, dans ces établissements, voir la grimace d’hostilité du médecin responsable de la salle d’urgence lorsqu’on lui amène un vieux en détresse. «Ça va faire un lit de moins», se dit-il.
Les plus de soixante-cinq ans sont rarement aimés lorsqu’ils gênent : à preuve ce large sous-titre dans le dernier numéro du magazine Châtelaine : «Ceux qui se marient aujourd’hui seront bientôt écrasés d’impôts, ayant à supporter une société de vieux qui pour l’instant les fait chômer!»

Un hôpital modèle

Hormis l’hôpital, peu hospitalier, il existe pour les gens âgés et souffrants une nouvelle formule: l’hôpital de jour. «C’est, explique le docteur Michelle Montplaisir, un lieu de diagnostic et de traitement multidisciplinaire fondé sur une approche globale.»
Depuis 1978, l’établissement fonctionne au sein du Centre hospitalier Côte-des-Neiges, un ex-hôpital de vétérans, désormais uniquement réservé aux vieilles personnes et affilié à l’Université de Montréal. Tous les matins, du lundi au vendredi, 25 patients arrivent, transportés par minibus, pour recevoir sur place des traitements et être ramenés le soir à leur domicile.

Michelle Montplaisir, chef du Département de médecine générale du Centre hospitalier explique: « Le cycle de traitement commence par un examen très complet de pré-admission. Chez les personnes âgées, une pathologie peut en cacher une autre. Il ne s’agit pas seulement d’un bilan médical. Il est aussi psychique et social. »

« Un plan de traitement est décidé, le patient revient deux fois par semaine. Lorsqu’il a recouvré la meilleure santé possible, une infirmière de soins à domicile le visitera, ou encore une travailleuse sociale chargée de trouver des solutions à d’éventuels problèmes d’isolement. Par exemple, on fournira au bénéficiaire une aide-ménagère ou on l’aidera à s’inscrire à un club de l’âge d’or. »

Le Centre hospitalier, outre son hôpital de jour, comporte des lits de longs et de moyens séjours pour les patients atteints de maladies spécifiques du troisième âge. Là sont appliqués les programmes de soins particuliers, surtout la réadaptation. L’hôpital est pourvu d’unités spécialisées d’évaluation gériatrique, d’accidents cérébro-vasculaires, d’un centre de recherche sur le vieillissement.

Un cas type

Voici, parmi les fiches du docteur Montplaisir, le cas type d’un malade de 79 ans. Il a été hospitalisé à l’unité de moyen séjour à la suite d’une hémiplégie droite avec aphasie. Après trois mois de rééducation active, il marche seul avec une canne et peut se servir de son bras droit. L’aphasie régresse peu à peu. Toutefois, le malade n’a pas récupéré les mouvements e sa main. Il demeure seul, mais il préfère retourner à son domicile. Une aide-ménagère va le visiter une fois par jour. Il reçoit son congé de l’hôpital. Il sera pris en charge trois fois par semaine par l’équipe multidisciplinaire de l’hôpital de jour, afin de poursuivre la réadaptation.

Dans son milieu, des visiteurs de l’hôpital viennent s’assurer régulièrement qu’il ne manque de rien, physiquement ou moralement.

« Le principe de tous nos programmes de soins, au Centre hospitalier, c’est de maintenir l’autonomie maximale des personnes âgées malades, de favoriser leur réinsertion sociale, d’éviter, autant que possible, le placement en institution », insiste le docteur Montplaisir.

Philosophe et médecin

Cette dynamique jeune femme s’est vouée à la qualité de vie des anciens. Est-elle gérontologue ? Gériatre ? « Je n’aime guère que l’on m’applique ces titres. Je suis spécialisée dans l’une des branches de la médecine de famille. »

Avant de recevoir son diplôme en médecine, elle avait décroché un grade en philosophie. C’est au Département des soins aigus de l’Hôtel-Dieu qu’elle a décidé de se consacrer aux soins très particuliers à donner à ses contemporains âgés. Elle s’est rendue en Europe pour y recevoir sa formation, puis a été nommée au Centre hospitalier Côte-des-Neiges.

Elle enseigne sa spécialité à l’Université et souhaite que de plus en plus d’étudiants en médecine optent pour les stages à son hôpital. Elle vise à développer le concept idéal : une société qui aidera tous ceux qui sont dans la période avancée de leur vie à demeurer dans leur foyer où l’on veillera au maximum à leur bien-être et à leur autonomie.

Il y a, dans la région de Montréal, trois hôpitaux de jour du type Côte-des-Neiges. Il y en aura bientôt sept. « On estime, dit Michelle Montplaisir, que pour mille personnes âgées, il faut idéalement deux places dans un hôpital de jour. » Problème : combien en manque-t-il au Québec? Faites le calcul…

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Pour mille personnes âgées, il faudrait idéalement deux places dans un hôpital de jour… Photo : © GrandQuebec.com.

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