Quand sonne l’heure de la retraite…
Maurizia Binda, Les Diplômés, n° 348, hiver 1985
Pour les uns, c’est le début de l’âge d’or. Pour les autres, hélas! c’est le moment de battre en retraite !
La retraite, c’est quand on cesse de travailler. Jadis, on la prenait à date fixe : à 70 ans, puis à 65. Ça ne se discutait généralement pas. Aujourd’hui, les frontières de l’âge de la retraite sont devenues floues. Depuis la loi 20, adoptée en 1980, la mise au rancart obligatoire est désormais interdite. D’autre part, bon nombre de travailleurs et de travailleuses se prévalent de la préretraite à 55 ou 60 ans. Certains rêvent même de la prendre plus tôt !
L’âge d’or se vit souvent sans argent! Ou presque… Plusieurs retraités se retrouvent en effet avec des revenus amputés de la moitié ou des deux tiers de ceux qu’ils gagnaient à l’époque des vaches grasses.
Cette chute dramatique des revenus est la cause première de la marginalisation de bon nombre d’entre eux.
Se contenter du minimum
Selon les données tirées du Précis de la vieillesse au Canada, publié par le ministère du Bien-Etre social du Canada en octobre 1983, 31 % des couples du troisième âge ont un revenu moyen de 12 500$. Seulement 7 % de ces couples disposent de 25 000$ ou plus par an…
Comme le précise Jean Quintal, coordonnateur des centres d’hébergement et d’accueil du MAS, «un revenu de 7 000$ par an laisse supposer que le retraité ne dispose que de la pension de sécurité de la vieillesse, soit 272,17$ par mois; s’il n’a aucun régime privé ou autre forme de revenu, il a droit au supplément de revenu garanti, soit 298,47$ par mois. Au total : 570,64$ par mois.»
Une retraite différente
Les psychologues constatent une évolution dans les attitudes chez les retraités des années 1980 par rapport à ceux des années 1950-1960. Ils ont troqué les aiguilles à tricoter et les bâtons de golf pour les blousons de yoga et les souliers de course. On note aussi, chez les hommes, un souci de l’esthétique lié au mieux-vivre.
Richard Savaria donne des cours aux préretraités et aux retraités dans le cadre du programme Retraite active, organisé par le collège Marie-Victorin. « Sociologie, biologie et psychologie sont à l’honneur. Les élèves sont recrutés dans toutes les couches de la société par le biais du Patro Le Prévost et des clubs de l’âge d’or. Aucun prérequis sauf l’engagement réel, car il s’agit de 6 heures par semaine pendant 2 ans. »
Comment réagissent les femmes vis-à-vis de la retraite? Chez celle aujourd’hui âgée de 60 ans et plus, le passage se fait en douceur car, dans 80% des cas, elle est déjà au foyer. Mais l’arrière-saison de la vie devient angoissante si elle a peu d’épargnes, pas de régime de pension privé. C’est souvent le cas : 47% des femmes ont un revenu annuel de 5 000 à 7 000$.
Comme le souligne Gilles Plamondon, responsable de la formation des animateurs dans le cadre du certificat de gérontologie de l’Université de Montréal, « les 65 ans et plus constituent les 500 000 retraités officiels au Québec. Mais il ne faut pas oublier les 55 ans et plus… en retraite officieuse, dans les limbes sociales, par suite du chômage, de l’automation. Impossible pour eux de se recycler. »
L’isolement des grandes villes
Marie-Françoise Côté travaille dans un C.L.S.C. auprès de personnes âgées, notamment sur des problèmes de motivation et de dépression suite à une cessation d’emploi. Elle souligne un problème particulier à Montréal : les retraités s’y retrouvent souvent seuls, contrairement à ceux des zones rurales que la famille prend en charge. En ville, la situation diffère selon le secteur, le milieu.
« La clientèle du C.L.S.C.-centre-ville diffère de celle du nord de Montréal où les gens sont plus scolarisés. Nous recevons des anciens chambreurs, des habitants de H.L.M. souvent sans famille ni statut. » Malgré tout, a noté Marie-Françoise Côté, scolarité et niveau de vie n’influencent que partiellement l’attitude vis-à-vis de la retraite. D’autres facteurs jouent. Par exemple, le travailleur manuel retraité s’en tire souvent mieux que l’intellectuel ou le professionnel dont la cause, l’occupation était souvent toute sa vie.
Se regrouper
Créée en 1975, la Fédération de l’âge d’or est un regroupement qui tire ses origines des clubs paroissiaux. Convaincue que la retraite n’est pas l’anéantissement, elle tente de pallier les trois «i», inutilité, isolement, et inactivité. La Fédération a une vocation socio-culturelle, mais est aussi responsable de la représentation de ses membres et des revendications en faveur des retraités et des préretraités.
L’Association québécoise des droits des retraités (A.Q.D.R.) existe quant à elle depuis 1979. Sa vocation est nettement juridico-politique, à l’instar de la Ligue des droits et libertés. L’A.Q.D.R. s’est notamment faite la championne de la réforme des pensions.
La retraite à domicile
La retraite, c’est une nouvelle tranche de vie. Que l’on aimerait bien vivre à domicile. Heureusement, 94 % des retraités n’ont pas à subir les affres du passage du domicile à l’institution.
En octobre dernier, sous le thème «le soutien à domicile, solution pour continuer à vivre chez soi», le Forum des citoyens âgés invitait ses membres à venir discuter des services nécessaires à la personne âgée à domicile. Véritable prise en charge sociale sous l’égide des 166 C.L.S.C, le maintien à domicile est loin dans le sillage de la demande. Les popotes roulantes ne suffisent pas, les visites non plus.
Lorsque l’état de santé laisse à désirer, l’intégration au foyer devient indispensable. La moyenne d’âge des patients admis est de 80 ans. Il s’agit le plus souvent de veufs ou de veuves, ou de personnes que la famille ne peut ou refuse de garder. 70% des bénéficiaires sont des femmes. Pas étonnant : l’espérance de vie chez les femmes est de 77,5 ans et de 70,2 chez les hommes.
Les centres d’accueil
Le réseau actuel des centres a 15 ans et compte 91 établissements dans la seule région de Montréal. Il se divise en trois catégories, soit 35 établissements publics subventionnés, 20 centres privés partiellement subventionnés et 37 centres privés qui ne reçoivent pas de fonds publics.
Qu’en coùte-t-il à l’usager de l’établissement public ? Jean-Louis Vaillancourt, directeur de la résidence Jean-de-la-Lande, précise que « le Service des affaires sociales de la Ville de Montréal calcule la cotisation en fonction du revenu, soit la pension, les épargnes. Le montant est de 706$ pour une chambre privée et de 591$ pour une semi-privée. La cotisation moyenne — on ne peut parler de loyer — est de 475$ par mois pour l’année financière 1983. »
Si le bénéficiaire ne touche que l’équivalent des prestations du fédéral (570,74$ par mois), la loi exige que le centre lui laisse 105$ par mois.
Ma famille ne veut plus de moi !
Partout, la journée type est ponctuée de distractions à caractère culturel. Malheureusement, signale Jean Quintal, 25 % à 30 % des personnes n’ont d’autres visiteurs que les bénévoles.
Une personne de 77 ans (qui préfère garder l’anonymat) nous a dit : « Ma famille ne veut plus de moi. Je ne souhaite que la mort. »
En plus du réseau des centres d’accueil, il y a des pavillons et des familles d’accueil. « Les familles d’accueil conviennent aux personnes ayant de légers problèmes. Les résidents des pavillons, toujours rattachés à un centre, nécessitent une surveillance moyenne », précise Marie-Françoise Côté qui, dans le cadre de ses fonctions, s’occupe des demandes d’hébergement.
Une pluie de demandes… les maisons d’accueil poussent comme des champignons. En effet, n’importe qui peut se constituer en hôtellerie, moyennant un permis émis par la municipalité ou encore par le ministère du Tourisme. Bâtiments en règle ? Bien sûr. Mais qu’en est-il des soins dispensés ? Sont-ils conformes aux exigences du ministère des Affaires sociales ? Souvent, non.
On reproche à certaines de ces maisons d’héberger une clientèle souvent trop fragile, compte tenu de la compétence du personnel. Jean Quintal fait remarquer: « Heureusement, la loi sur la santé et les services sociaux prévoit la fermeture de tels foyers et la relocalisation des intéressés, si le MAS décèle de telles irrégularités. »

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