Les glaciers de chez nous
Lorsqu’on parle de glaciers, on pense surtout aux régions polaires, au Groenland, ou encore aux hautes montagnes, à la Suisse ou à la Scandinavie. Cependant, hier encore, au sens géologique, la province du Québec, tout le reste du Canada et le tiers des États-Unis étaient recouverts d’une immense nappe de glace qui a donné son modelé au paysage actuel de ces régions. Que cette idée paraisse d’abord incroyable ne doit surprendre personne.
Au XIXe siècle, la théorie de la glaciation était encore contestée. Louis Agassiz avait bien démontré, vers 1840, que les dépôts meubles qui couvraient de vastes étendues en Europe et en Amérique du Nord avaient la même composition et le même agencement que les débris laissés par les glaciers alpins dans les vallées d’où ils venaient de se retirer.
Mais l’esprit se refusait à croire que tout un continent ait été recouvert par un vaste glacier. Il fallut bien se rendre à l’évidence et presque personne ne conteste aujourd’hui l’existence d’un glacier continental en Amérique du Nord.
Il fallut encore beaucoup de temps et d’études pour que la diversité de ces dépôts glaciaires fût admise. On arriva enfin à démontrer qu’en Europe et en Amérique les glaciers avaient envahi presque le même territoire à quatre reprises et qu’entre chaque avance il s’était écoulé assez de temps pour permettre à la surface de la terre de développer un vrai sol, conservé à l’état fossile.
Mais il y avait plus encore : les stries glaciaires, égratignures géantes sur les surfaces rocheuses, indiquent la direction du mouvement desglaciers. Quelle ne fut pas la surprise des géologues de constater, d’après leurs relevés des stries glaciaires, que ces glaciers ne venaient pas des régions arctiques mais de trois centres de glaciation bien au sud du cercle polaire !
Au début, les géologues n’avaient aucune idée de la durée de l’époque glaciaire.
Ils se doutaient bien qu’elle avait été longue car la marche des glaciers est fort lente; leur alimentation et leur fonte s’accomplissent à un rythme presque imperceptible. On se hasarda d’abord assez timidement à penser qu’elle avait duré des milliers d’années puisque les dépôts glaciaires étaient, en certains endroits, en dessous des traces les plus anciennes de l’homme. Plusieurs hypothèses ingénieuses furent invoquées pour arriver à des chiffres convaincants. Inutile de les décrire ici car elles sont exposées dans tous les manuels de géologie. Il y a quelque vingt-cinq ans on en était à peu près au chiffre d’un million d’années pour la durée totale de l’époque glaciaire. L’étude de radiocarbone et d’autres substances indices est en train de confirmer ces chiffres.
Situons d’abord l’époque glaciaire dans les temps géologiques. Elle en comprend moins du 2/100e, soit une infime partie du temps écoulé depuis l’origine de la terre. Et pourtant cette minuscule fraction du temps géologique se monte à près d’un million d’années, sinon plus.
Les sept divisions de l’époque glaciaire, quatre glaciations et trois stages interglaciaires, ont reçu des noms empruntés aux régions d’après lesquelles on les a définies. On reconnaîtra parmi ceux-ci des états (Nebraska, Kansas, Illinois et Wisconsin) et des villages (Afton et Yarmouth, dans l’lowa; comté de Sangamon, Illinois). La nomenclature européenne correspondante est plus simple puisqu’elle désigne les stages interglaciaires en combinant les noms de deux glaciations entre lesquelles ils se placent, e.g., Günz-Mindel, le stage interglaciaire après la glaciation Günz et avant la glaciation Mindel, La durée probable de chaque division varie tellement qu’il vaut mieux ici ne pas les énumérer.
Du point de vue purement physique, la glaciation produit des effets qui ont influé fortement sur la faune et ia flore. Le poids de l’énorme masse des glaciers, qui atteignaient plus d’un mille d’épaisseur en certains endroits, a déprimé la surface des continents de façon très sensible. Quand les glaciers ont disparu, le sol a repris lentement son niveau originel car la croûte terrestre possède une certaine élasticité.
L’immense nappe des glaciers a emprisonné plusieurs fois un volume énorme d’eau, soustraite par évaporation au réservoir des océans. Le résultat fut une baisse considérable du niveau des mers tant que cette eau leur a manqué et une hausse correspondante lorsque les glaciers ont fondu. Le phénomène glaciaire a donc eu des répercussions jusque dans les mers
tropicales dont il a tantôt abaissé, tantôt élevé le niveau.
Le jeu de ces deux phénomènes explique, en partie du moins, certains événements de l’époque glaciaire, mais il faut en considérer d’autres encore qui ont joué un rôle non moins important. À chaque retrait des glaciers, le modelé des continents était tout métamorphosé par le surcreusement des vallées de rivières dans lesquelles coulait, quoique très lentement, le glacier lui-même au lieu de l’eau. Ce glacier charriait toutes sortes de débris depuis d’énormes blocaux de roches dures jusqu’à la poussière des pierres broyées sur son passage. Il faut y ajouter l’attrition (frottement) des matériaux transportés par le glacier, puis l’accumulation de ces matériaux au pied et au fonddu glacier. Sur son passage, le glacier changeait donc tout : certaines vallées étaient surcreusées par le débit démesuré des eaux de fonte; d’autres se voyaient bloquées par d’énormes barrages de débris glaciaires.
Une région presque plane devenait accidentée, pleine de monticules et de dépressions où se formaient des lacs d’étendue parfois considérable.
La province du Québec a été profondément affectée par ces deux agents glaciaires. Lors de la fonte du dernier glacier continental, la vallée du Saint-Laurent tout entière, l’Outaouais jusqu’au lac Témiscamingue, le Richelieu, le lac Champlain et le Saguenay jusqu’au lac Saint-Jean, devinrent des bras de mer qui durèrent assez longtemps pour permettre à une faune marine très variée de s’y établir et d’y laisser ses restes fossiles. C’est ce qui explique que l’on trouve des coquillages marins, voire des foraminifères à des endroits actuellement bien éloignés de la mer, tels le lac Champlain, Montréal, Ottawa et le lac Saint-Jean.
Ces phénomènes suffiront à indiquer ce que le géologue amateur, même le moins averti, pourra découvrir pour sa propre satisfaction partout dans la province. Avec un peu plus d’expérience et des méthodes plus exactes, il pourra tracer la marche des glaciers en détail dans les régions qui lui sont accessibles et contribuer ainsi au progrès de la géologie.
(Publié dans la revue Le Jeune Scientifique, novembre 1962).
