Droit et environnement
Par Ronald Prégent
Notre législation sur la protection de l’environnement est propre propre propre… en principe. Mais est-elle pour autant efficace ?
Au Québec, on rencontre un problème relatif à l’environnement, on passe une loi ou un règlement. Ces lois et ces règlements s’empilent comme les pneus uses à Saint-Amable !
« À elle seule, la législation fédérale compte plus d’une cinquantaine de lois reliées à ce sujet dont la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, adoptée en juin 1988 », précise Jean Hétu. Professeur a la Faculté de droit de l’Université de Montréal, il fut l’un des premiers juristes québécois à s’intéresser au droit de l’environnement. « L’envers de la médaille, laisse-t-il tomber, c’est que très peu de poursuites ont été intentées en vertu de ces lois à travers le Canada. »
Le Québec, les municipalités et les communautés urbaines ont adopté de leur côté toute une gamme de lois et de règlements dont certains remontent au siècle dernier (voir encadré). Ui pièce centrale de cet édifice législatif est la Loi sur la qualité de l’environnement, adoptée pour la première fois en 1972 et amendée à maintes reprises depuis.
L’environnement, donc, est bien armé pour se défendre. Alors, comment se fait-il qu’il se défende si mal ?
Théorie versus pratique
« C’est une chose que d’adopter des lois draconiennes, c’en est une autre de les appliquer et de les faire respecter », poursuit Jean Hétu. Les statistiques concernant les amendes imposées pour les infractions aux lois de l’environnement illustrent ce point de manière fort éloquente.
Les amendes dont sont passibles les « pollueurs » ont parfois de quoi faire peur! Ainsi on a fait grand état de la décision récente du gouvernement provincial d’augmenter le plafond de l’amende maximale de 100 000 $ à un million de dollars !
« Comme exercice de relations publiques, dirigé davantage vers la population en général que vers les pollueurs, c’est très bien pensé», commente Jean Hétu. « Mais en réalité, ça n’aura pas grand effet si l’on se fie aux pratiques en matière d’amendes. »
Le professeur Hétu a en effet pu établir que les amendes imposées à des pollueurs en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement étaient en moyenne de 667,16 $ par chef d’accusation.
L’amende totale la plus élevée se chiffrait à 11 500 $ et se répartissait en trois chefs d’accusation. L’amende la plus faible pour un chef d’accusation échut à Hydro-Québec, en octobre 1990: un dollar d’amende… et SK) jours pour payer !
« Quand on songe à ce que coûte la préparation d’une cause portée devant les tribunaux, on a l’impression que c’est le gouvernement, et toute la collectivité, qui sont pénalisés pour avoir voulu faire respecter les lois. Et ce n’est certainement pas le meilleur moyen de susciter le respect des lois chez nos concitoyens ! »
Faut-il vraiment être plus sévère ?
Une meilleure protection de l’environnement passe-t-elle par l’application rigoureuse des mesures sévères prévues dans les lois ? Par exemple, devrait-on faire des pressions pour que les tribunaux imposent les amendes maximales, du moins dans les cas les plus graves ?
Quand la peine est trop sévère, selon Jean Hétu, elle devient à toutes fins pratiques inapplicable. « À ma connaissance, il est arrivé une seule fois au Canada qu’une amende d’un million de dollars soit imposée, et ce pour une infraction à la loi ontarienne sur la protection de l’environnement. Bien entendu, cette amende ne fut jamais payée car la compagnie polluante fit faillite. » En matière d’environnement, nos lois et nos règlements sont impeccables pour ce qui est des principes, ce qui est rassurant pour le grand public … Mais ils ne tiennent guère compte de la réalité.
Par exemple, on exige des transporteurs de déchets dangereux qu’ils contractent une assurance. Mais que se passe-t-il si aucune compagnie n’accepte de les assurer ? Est-ce qu’un tel article de loi joue un rôle vraiment préventif ?
Alors, que faire ? S’il y a déjà trop de lois et de règlements qui, de toute façon, ne suffisent pas à protéger adéquatement l’environnement, est-il réaliste de chercher une solution à caractère juridique ? Et, si oui, de quel côté faut-il la chercher ?
La dimension économique
Pour Jean Hétu, il faut d’abord commencer par reconnaître que le droit de l’environnement est inséparable de la réalité économique. D’ailleurs, poursuit-il, cette réalité économique s’impose d’elle-même quand on fait mine de l’ignorer.
Ainsi on a adopté une réglementation très sévère pour les compagnies de pâtes et papiers mais, compte tenu de leur situation économique précaire, on songe déjà à en reporter l’application de quelques années. De même, le faible montant des amendes imposées aux pollueurs s’explique en bonne partie par le fait que ces pollueurs sont, dans près de la moitié des cas, des producteurs agricoles ayant un statut précaire et jouant un rôle économique essentiel dans l’économie québécoise. Il est donc tout naturel qu’on veuille les ménager.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, ajoute Jean Hétu, si les pays en voie de développement ont des législations et des pratiques beaucoup plus permissives en matière de protection de l’environnement que les pays industrialisés. Ont-ils le choix des moyens pour assurer un semblant de développement économique ?
Tous des pollueurs !
Deuxièmement, il faut aussi reconnaître que la pollution est un phénomène de société, qui a un caractère inévitable. « Nous sommes tous des pollueurs. D’ailleurs, polluer n’est pas en soi un acte illégal. Ce qui est interdit, c’est de dépasser un certain niveau de pollution. »
Alors, propose Jean Hétu, plutôt que d’instaurer un système fondé sur des amendes aux contrevenants, pourquoi ne pas mettre sur pied un système de redevances que les entreprises devraient payer en fonction du degré de pollution qu’elles causent ?
« C’est d’ailleurs l’approche que la CUM s’apprête à adopter pour ce qui est des rejets dans les égouts. Plus une firme aura de déversements, plus la note sera élevée. On créera ainsi un incitatif économique à réduire le niveau de pollution.
C’est comme pour la consommation d’eau. Quand on paie en fonction de la quantité consommée (mesurée au compteur), on y pense à deux fois avant d’arroser son gazon toute la nuit ! »
« Aux États-Unis, on est allé jusqu’à établir des quotas de pollution. Ce qui fait qu’une entreprise qui n’épuise pas ses quotas peut les revendre à une entreprise qui a dépassé les siens ! » Cela dit, Jean Hétu reconnaît qu’il faudra toujours maintenir la menace de sanctions pénales pour contrer les « tricheurs », c’est-à-dire ceux qui s’écartent considérablement de la norme permise et qui cherchent à déjouer le système.
En réservant les amendes les plus fortes aux pires contrevenants, peut-être y a-t-il lieu d’espérer que les tribunaux se montreront plus sévères à leur endroit. Même le Code criminel contient des dispositions qui pourraient être appliquées, par exemple, aux administrateurs de compagnies qui mettent l’environnement en danger. Dans ce cas toutefois, le fardeau de la preuve sera plus lourd puisqu’il faudra démontrer l’intention coupable au-delà de tout doute raisonnable.
« On a vu récemment deux cas, en Ontario, où des administrateurs ont été condamnés à la prison. Mais ça demeure exceptionnel. »
Un nouveau champ de pratique
Les préoccupations écologiques et le développement du droit de l’environnement ont eu des répercussions sur la profession juridique, créant un nouveau champ de pratique. Les gouvernements et les municipalités, tout comme les grands cabinets d’avocats, ont mis sur pied des sections consacrées au droit de l’environnement.
« Nos étudiants sont préoccupés par les questions reliées à l’environnement. Il nous faut les détromper. En réalité, dans l’état actuel des choses, la plupart des avocats qui pratiquent le droit de l’environnement sont occupés à défendre les pollueurs!»
Texte paru dans Les Diplômés, hiver 1992

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