L’eau au Québec : un bien public taxable
L’eau ne ferait plus l’objet d’un droit d’appropriation privée, mais entrerait dans le domaine public. En retour, l’État la redistribuerait sous forme de « droit d’usage », qui serait soumis à une taxation bien définie imposée au consommateur. Voilà, en gros, les conclusions du rapport sur les problèmes juridiques de l’eau déposé vendredi, à l’Assemblée nationale, par le ministre des Richesses naturelles, M. Gilles Massé.
Ce rapport est le premier d’une commission d’étude sur le statut de l’eau, présidée par le juge Rolland Legendre et comprenant six commissaires.
Les principales recommandations, qui ne manqueront probablement pas d’étonner ou d’inquiéter plusieurs habitués de l’eau, sont :
- la création d’un domaine juridique particulier pour l’eau;
- la dissociation de l’eau de la propriété foncière ;
- la clarification constitutionnelle de la compétence en ce domaine;
- la reconnaissance claire et nette du principe de l’accessibilité de tous à l’eau en tant que domaine public.
Glas des clubs privés
Pour certains observateurs, et sans que le gouvernement ait pris le moindrement position, cette disposition sonnerait ni plus ni moins le glas des « clubs privés » de chasse et pêche au Québec.
L’article pertinent du rapport mande en effet : « Que l’accès aux étendues d’eau faisant partie du domaine public soit proclamé comme un droit fondamental que tout citoyen peut exercer sur les propriétés de l’Etat, en conformité avec les normes d’affectation des cours d’eau et des lacs ».
On sait qu’une campagne en cours au Québec, depuis quelque temps, vient d’aboutir à la « déclubisation » de certains lacs et domaines privés.
Mais il est encore trop tôt, semble-t-il pour affirmer que cette recommandation corresponde bien aux vues du ministère.
En plus du ministère des Richesses naturelles, le ministre d’État, M. Victor. C. Goldbloom, s’occupe plus particulièrement de la lutte, contre la pollution sous la délégation du ministère des Affaires municipales.
Un autre article du rapport Legendre réclame que tous jouissent de « droits d’usage » égaux, pour l’eau, les autres conditions fixées par l’État étant respectées.
Il est bien dit, dans le rapport, que l’État aura le droit de fixer une taxe pour l’usage de l’eau « en tenant compte de la valeur économique de la ressource », de la quantité utilisée et de la détérioration qui en provient.
Quant à l’aliénation du lit des rivières et des terres publiques riveraines, elle serait prohibée jusqu’à une distance de 198 pieds en profondeur à partir de la ligne des plus hautes eaux.
Dans le même secteur, la construction de tout ouvrage ou aménagement souterrain ou en surface ne pourrait avoir lieu sans autorisation.
Code do l’eau
« Cependant, même si depuis rétablissement des premières sociétés, l’homme vit à proximité de l’eau, il a mis des millénaires pour contrôler, et encore pas totalement, les comportements naturels de cette ressource qui lui ont causé bien des problèmes », affirment les auteurs du rapport.
C’est pour corriger cette situation qu’ils soumettent, en partie, au gouvernement leurs recommandations.
Les commissaires voudraient, par exemple, que soit établi un Code de l’eau au Québec.
En vertu de celui-ci, toutes les dispositions réglementaires concernant l’usage de l’eau, sa gestion et sa conservation seraient uniformisées. Les règlements mettraient évidemment un très fort accent sur la lutte contre la pollution.
Responsabilité provinciale
Il faudrait en outre, notent les commissaires, que l’eau fasse l’objet d’une attribution claire et précise dans la constitution canadienne.
Pour cela, un amendement à la constitution, soit à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, serait nécessaire, afin de donner aux provinces le pouvoir d’imposer des taxes indirectes pour faire respecter leur compétence.
Présentement, ces taxes sont interdites aux provinces, pendant que le gouvernement central peut « taxer par tous modes et systèmes de taxation ».
Le rapport de 279 pages ne spécifia pourtant pas, clairement, qui administrera ce nouveau régime des eaux publiques dont il réclame la création.
Un tribunal de trois juges serait néanmoins constitué pour entendre l’appel de ceux qui estiment leurs droits lésés par la conclusion de l’entente de “donialisation » avec son indemnité.
(Cette nouvelle date du 5 juin 1971).
