Un tour de force: la canalisation du Saint-Laurent
Dans la livraison de juin 1958, de la revue Ovale, Monsieur Peter Dempson nous relate les différents préparatifs que l’on a dû faire en vue de la Journée de l’Inondation du premier juillet dernier. En effet, le Jour de la Confédération a été aussi le jour de l’Inondation à Cornwall, journée la plus mémorable des quatre années de construction de la voie maritime du Saint-Laurent et des installations hydro-électriques qui ont été faites au coût d’un milliard de dollars.
Une fois le lit du nouveau lac entièrement recouvert, après quatre jours, on a franchi une étape importante dans la canalisation du fleuve Saint-Laurent.
Des niveaux d’eau plus élevés permettront aux océaniques de naviguer sur le fleuve et d’emprunter les nouvelles écluses, en voie de parachèvement. De plus, les premières unités de la nouvelle centrale de plusieurs millions de dollars de l’Hydro-Ontario, commenceront à fonctionner en moins d’une semaine.
Les grandes transformations sur le Saint-Laurent, plus que toute autre entreprise, sont un indice qu’à juste titre la seconde moitié du 20e siècle appartient au Canada plus qu’à tout autre pays du Commonwealth.
En effet, depuis 1954. une armée de quelque quinze mille hommes, équipée de la plus considérable machinerie de construction, remodèle la vallée du fleuve. Des milliers de tonnes d’explosifs puissants, fabriqués par la Canadian Industries Limited ont servi à découper de nouveaux chenaux et à approfondir les anciens lits : à creuser les fondations de la centrale et à extraire la roche à ciment et à gravier, deux matériaux nécessaires à la fabrication d’énormes quantités de béton.
Quelque six mille cinq cents personnes ont évacué les trente-huit mille acres de terre a inonder, dont la plus grande partie est située en territoire canadien. On a érigé deux villes entièrement nouvelles et déplacé une autre ville et demie. Ces seuls déplacements ont coûté environ trente millions de dollars.
L’acheminement de l’Atlantique au cœur du continent, entreprise Colossale entre toutes, est maintenant aux trois-quarts réalisée.
L’on croit fermement que les chenaux seront dragués, et les écluses terminées pour l’ouverture de la saison de navigation de 1959.
Au parachèvement de la voie maritime et des installations hydro-électriques, fin 1959, on aura dépensé près d’un milliard deux cents millions de dollars.
La construction de la voie maritime est une entreprise conjointe de l’Administration de la Vole Maritime du Saint-Laurent, établie par le gouvernement canadien et de l’organisation correspondante des États-Unis ; celle des Installations hydro-électriques relève de la Commission Hydro-Électrique de l’Ontario et de la New York State Power Authority, Cet énorme placement commence a rendre presque immédiatement. On estime à trente millions annuellement le tonnage qui empruntera, a compter de 1959, la vole maritime de vingt-sept pieds à profondeur, entre Montréal et le lac Érié. Des navires à tirant d’eau de vingt-cinq pieds pourront y passer facilement. Éventuellement, le trafic égalera ou dépassera celui du canal de Panama qui s’élève à près de quarante millions de tonnes annuellement.
Toutefois, avant que ne soient prêts le canal et le système d’écluses, les gigantesques centrales faisant partie des travaux de la voie maritime — telle celle qui fonctionne depuis le jour de la Confédération — commenceront à produire de l’électricité. Une fois terminées, ces centrales qui enjambent la frontière canado-américaine produiront 2200.000 chevaux vapeur que se diviseront également les deux pays intéressés.
Les statistiques de la voie maritime sont étonnantes. Elle permettra aux bateaux océaniques de pénétrer à l’intérieur du continent jusqu’à une distance de 2.000 milles de l’Atlantique ; au moyen d’écluses, elles les élèvera à un total de 602 pieds au-dessus du niveau de la mer.
On estime à 225.000.000 de verges cubes le volume du sol excavé aux approches de la voie maritime et des installations hydro-électriques. Sept millions de sacs de ciment furent servis aux barrages et canaux.
Jusqu’à maintenant, on a utilisé environ vingt millions de livres d’explosifs du côté canadien seulement. Dans toute l’histoire canadienne. la voie maritime et le développement hydro-électrique se rangent comme l’entreprise de construction qui ait absorbé le plus fort volume d’explosifs.
On s’est servi des trois types principaux : Forcite, une dynamite de type gélatine : Dynamex, une dynamite du type ammoniaque et Nitrone, pour les excavations rocheuses et les sautages sous-marins. Les techniques employées, si non nouvelles en principe, ont dû être adaptées aux circonstances. Des techniques de sautage à retards fractionnés ont été abondamment appliquées afin d’atténuer la vibration On a conçu des explosifs afin de diminuer la propagation — détonation sympathique des charges adjacentes.
Des problèmes difficiles ont été surmontés au cours des travaux d’excavation aux deux écluses de Beauharnois, où la voie maritime rejoint le lac Saint-Louis et le canal de Beauharnois. À cet endroit on a fait sauter trois millions de verges cubes de quartzite à proximité de la centrale de Beauharnois sans entraver la marche de la centrale ni endommager le moindrement les structures. Pour atténuer le choc hydraulique et les vibrations sismiques pendant le sautage sous-marin dans le canal Welland, on a abondamment utilisé les techniques de sautage au coussin et à écran d’air.
Pour le sautage du batardeau, le Jour de l’inondation du premier Juillet dernier, on a utilisé trente tonnes de « Nitrone », ce qui provoqua l’explosion la plus considérable de toute l’entreprise. Les opérations de chargement ont débuté à la mi-mars. Comme une forte proportion des charges devaient reposer sous l’eau durant une longue période, il était essentiel d’employer un explosif hydrofuge.
Avec la voie maritime du Saint-Laurent et les installations hydro-électriques, le Canada et les États-Unis attendent un commerce étranger soutenu, un transport domestique à bon marché et de l’énergie hydro-électrique moins coûteuse.
La voie maritime permettra aux navires à chargement en vrac des Grands Lacs — de gros vaisseaux considérés la forme la plus efficace de transport au monde — de naviguer directement jusqu’à la mer. En même temps, elle permettra à de grands océaniques de pénétrer jusqu’au cœur du continent.
Les abondantes moissons de grain récoltées jusqu’à 3,000 milles de l’Atlantique atteindront Montréal sans transbordement, depuis les élévateurs de Port-Arthur et de Fort Williams, sur le Lac Supérieur. Elles dépasseront même Sept-Îles sur la rive nord.
Depuis le début du siècle, les aciéries du Mid-West américain, de Hamilton et de Welland se sont approvisionnées principalement par les Grands Lacs. Des navires se sont spécialisés dans le transport en vrac du minerai, de pierre à chaux et de charbon. La voie maritime améliorera le transport des vastes ressources de minerai de fer du nord du Québec et du Labrador. Les grands et rapides cargos de marchandises pourront servir à cette fin là où, précédemment, seuls des navires à faible tirant d’eau pouvaient évoluer, La réalisation (Vu nouveau lac qui est vraiment le bassin principal des Installations hydro-eléctriques et la construction des écluses et des chenaux de la voie maritime sont des exemples du génie canadien.
Dans la section du rapide international du Saint-Laurent, l’ile Barnhart obstrue presque le fleuve, à l’ouest de Cornwall. À son extrémité ouest, en travers du chenal nord, les ingénieurs ont érigé un batardeau de terre. À environ trois milles en aval, le chenal a été bloqué à l’aide d’un autre batardeau, fait de feuilles d’acier et de gravier. Ainsi le courant du fleuve a été détourné vers le chenal sud.
Entre ces barrages a été construite la centrale de 3200 pieds de longueur, composée de seize unités génératrices pour chacun de Hydro-Ontario et de celle de New York.
Depuis, le sautage de quelques-unes des unités ontariennes alimentent en énergie le réseau électrique de la province voisine. Chacun a une capacité de 57,000 kilowatts. Les générateurs de l’État de New York commenceront à fonctionner au cours de l’été.
Pour créer le nouveau lac, les ingénieurs ont ouvert les vannes du barrage d Iroquois afin d’activer le courant du réservoir naturel du Lac Ontario et ont ajusté certaines vannes du barrage du Long-Sault. Quatre heures après, ils faisaient sauter trente tonnes d’explosifs pour briser le batardeau de terre en amont.
Le Canada construit présentement une écluse à Iroquois pour élever et abaisser les navires au barrage. L’administration américaine aura deux écluses, près de Massena, entre le bassin et la centrale du fleuve.
Cependant la voie maritime ne sera pas ouverte sur toute son étendue avant le début de la navigation en 1969. À ce moment-là, les quatre autres écluses canadiennes, deux le long de la rive sud, à Montréal et deux à Beauharnois, sont sensées être prêtes.
Les nouvelles écluses accommoderont des bateaux de 737 pieds de quille et de 75. pieds de haut. Les navires à chargement en vrac jaugeant 25,000 tonneaux pourront naviguer sur la voie maritime et les cargos ordinaires, transporter jusqu’à 8,000 tonnes, au regard de 2,500 et 1,600 tonnes précédemment.
L’efficacité des écluses sera telle qu’elles pourront élever de quarante-cinq pieds, en huit minutes, un navire de 25,000 tonneaux. Les capitaines de vaisseaux estiment que la voie maritime réduira de deux à trois jours le parcours entre Montréal et la tête des Grands Lacs.
La voie maritime a engendré un grand empire industriel dans la vallée du Saint-Laurent. Depuis la lin du 18e siècle, alors que des hommes prévoyants ont lancé le Pacifique Canadien à travers le continent, le Canada n’a rien eu d’aussi tangible sur quoi fonder ses espérances.
Pendant plus de deux cents ans, l’homme a tenté de cons’ mire des chenaux navigables dans les rapides du Saint-Laurent. La voie maritime elle-même n’a-t-elle pas été l’objet de discussions entre le Canada et les États-Unis depuis près de cinquante ans?
En 1921, une commission canado-américaine d’ingénieurs a élaboré un plan complet de voie maritime et d’installations hydro-électriques. Ce plan approuvé a été mis sous forme de traité en 1932. Malheureusement le Sénat des États-Unis a refusé de le ratifier.
En 1941, les plans des ingénieurs ont. été révisés et incorporés dans une nouvelle entente internationale; mais des débats prolongés et des délais judiciaires ont retardé le projet jusqu’en novembre 1953. Les travaux commençaient en 1954.
La voie maritime du Saint-Laurent et les installations hydro-électriques sont sensées être terminées à la fin de 1959, mais le parachèvement de certains travaux peut encore être retardé. L’entreprise de plusieurs millions de dollars a maintenant franchi la période critique Le rêve de cinquante ans deviendra bientôt une réalité.
(Texte paru dans le journal « Le Soleil » le 31 août 1958).
Voir aussi :
- Attitude du Canada en face de la colonisation
- Plus sur la canalisation du Saint-Laurent
- Le canal de Panama e son histoire