Visite de famille

Connaître la famille de son amoureux

Le courrier de Claudette

Il est certain qu’une jeune fille a tout intérêt à connaître la famille de son amoureux, mais des relations trop suivies peuvent amener de petits complications qu’il est prudent de prévoir

Question : Chère Claudette, vous semblez être la maman de plusieurs et je réclame une petite place dans votre famille. Depuis quelques semaines, je suis fréquentée par un jeune homme distingué et de bonne famille ; il me paraît le type parfait, mais avant d’aller plus loin je serais anxieuse de le voir agir devant ses parents. À plusieurs reprises, ces derniers m’ont invité mais ma famille prétend que si je réponds à leur invitation, je cours le risque de me faire détester, avant même d’être épousée. Je voudrais y aller au moins une fois, car quelles chances avons-nous de connaître un garçon, quand nous le voyons quelques fois la semaine au cours d’une visite de cérémonie. Pour le moment, je ne connais aucun défaut à mon ami ; il m’avoue cependant être un peu soupe-au-lait. Personnellement, je suis âgée de vingt-deux ans et mes parents me trouvent jeune et volage. Pourtant, il me semble ne pas l’être : il est vrai que je suis le boute-en-train de la maison, je taquine souvent parce que je ne suis ni vieille fille ni saule pleureur. Je veux garder ma gaieté le plus longtemps possible car je trouve la vie belle et je suis contente de mon sort, bien que je sois obligée de gagner ma vie. Enfin, je suis la plus heureuse des jeunes filles et j’entends faire un succès de ma vie. Il ne manque que cette réponse à mon véritable bonheur : une jeune fille doit-elle s’abstenir d’aller dans la famille de son amoureux avant d’être fiancée ? (Signé : Qui vous aime bien).

Réponse : Votre lettre est trop réconfortante pour la laisser dans l’ombre, petite amie. Elle aurait eu vingt feuillets qu’il valait de la publier avec sa note franche et gaie qui va sans doute consoler d’autres jeunes filles mains bien partagées ; elle va leur insuffler de l’espérance car vous avez que le spectacle de la joie, de l’exubérance et du contentement agit sur les âmes en peine. Il n’est rien comme le contact de gens heureux pour les convaincre qu’elles peuvent être heureuses à leur tour. Vous voyez que vos belles dispositions ont une influence à longue portée : vous allez semer de la joie dans le cœur d’inconnues qui se réjouiront de votre bonne fortune et oublier momentanément leurs petits déboires. Cultivez un bel optimisme et ne lâchez pas votre gaieté : c’est peut-être la plus belle vertu qui soit quand elle s’alimente aux sources saines. Je n’ai pas besoin d’ajouter que vous êtes la très bienvenue dans cette grande famille du Courrier, ma belle enfant.

Dois-je avouer que votre question m’a donné à réfléchir ? Comment mettre tout le monde d’accord quand chacun a raison de différer d’opinion ? Comme c’est vous qui me posez la question et qu’un avocat se doit de défendre son client je m’en tiendrai à votre seul intérêt et je vous conseillerai de vous en tenir au désir de votre entourage immédiat : votre famille.

Pour justifier cette ligne de conduite, je me base sur le fait que plus de gens sont mêlés à vos petites affaires, plus vous en avez à contenter, plus vous êtes commentée, plus il faut manœuvrer pour ne pas indisposer personne. Je comprends fort bien qu’on tienne à vous voir le bout du nez dans la famille du jeune homme : j’admets qu’on veuille vous classer, savoir si vous êtes aussi charmante, aussi jolie, aussi adorable que votre ami le dit. Mais cela peut attendre. Songez que c’est déjà assez important de conquérir un amoureux sans passer à l’examen de tous les siens qui passeront leurs petites remarques. Rien ne sert de biaiser : on connaît l’esprit de famille. En y allant une fois, vous créez un précédent. Des sympathies peuvent naître, mais il est vrai que vous courez aussi le risque d’antipathies, qui pourraient influencer le cours de vos fréquentations amicales. Car on n’a pas les mêmes yeux pour une femme qui fait partie de la famille et pour celle qui cherche à y entrer. Dans le premier cas on est placé devant un fait accompli. Il existe une solidarité familiale, tandis que dans le second on la regarde avec des yeux de juge, bien disposé ou non.

Ce n’est pas de voir un jeune homme une fois au milieu des siens qui va tellement vous éclairer sur son caractère et il peut révéler ce dernier aussi bien chez vous que chez lui. À la longue, le temps aidant, vous ferez vos propres constatations car une fois la glace rompue, les visites de cérémonie se verront moins cérémonieuses, vous en viendrez aux confidence, à l’intimité et qui sait à l’amour. Fiez-vous à votre mère pour voir clair, elle connaît la vie. Il est certain d’autre part que vous ne pourrez pas toujours vous dérober, surtout si on vous adresse une invitation en bonne et due forme, car alors on pourrait croire à du snobisme, à de l’indifférence ou à un manque de considération pour ne pas dire de simple politesse.

Et un peu plus tard, poussée au pied du mur, il faudra faire bonne figure à l’éventualité. Mais entre une visite isolée et des relations suivies, il y a une marge. Gardez donc le juste milieu : je pense que votre famille se rendra à l’évidence d’une obligation lorsque l’obligation il y aura et il faudra vous présenter à papa, à maman, au petit frère, au petit chien, etc… Puisque cette réponse manquait à votre bonheur, j’espère qu’il est maintenant complet. Vous voyez qu’il ne s’agit que d’une question de temps ; après tout, vous vous connaissez depuis peu. Mais rien n’empêche vos parents de faire une enquête discrète sur la famille de ce jeune homme : la sécurité et le bonheur d’une fille le commandent même.

(Ces conseils datent du mois de janvier 1950).

À lire également :

« L’amour a son instinct, il sait trouver le chemin du cœur. » (Honoré de Balzac). Image : © Megan Jorgensen.
« L’amour a son instinct, il sait trouver le chemin du cœur. » (Honoré de Balzac). Image : © Megan Jorgensen.

Laisser un commentaire