Villemarie ou Ville-Marie

Doit-on écrire Villemarie ou Ville-Marie ?

Ce mot est composé du nom commun « ville » et du nom propre « Marie ». Il a été donné à deux localités au Canada.

Dès l’origine de Montréal, il a été donné en l’honneur de la sainte Vierge, à la bourgade naissante de la ville de Montréal. Il est regrettable que ce beau nom ait été remplacé par celui de Montréal, au commencement du dix-huitième siècle. Par compensation et afin d’empêcher que ce nom soit complètement oublié, on eut l’heureuse idée de le donner à un établissement de colons sur la rive orientale du lac Témiscamingue qui le porte encore, et, il faut l’espérer, le gardera.

Comme on lit ce nom écrit, en divers ouvrages importants, tantôt en un seul mot, tantôt en deux mots, il y a lien de se demander quelle est la meilleure manière de l’écrire.

Il ne faut écrire « Ville-marie ».

On trouve, il est vrai, ce nom écrit en un seul mot dans les divers ouvrages qu’a publiés, en France, l’abbé Faillon, P.S.S., notamment : « Vie de la vénérable mère Marguerite Bourgeoys », « Vie de la Mademoiselle Mance », « Vie de la vénérable mère d’Youville », enfin « Histoire de la Colonie française en Canada. » Dans ces divers ouvrages, l’auteur écrit habituellement ce nom en un seul mot, et rarement en deux mots, ce qui est sans doute le fait d’une distraction. L’abbé Daniel, P.S.S., a publié, quelque années après les précédents, l’«Histoire des grandes familles françaises du Canada ». Or dans cet ouvrage, aussi, on lit ce nom écrit en un seul mot, comme dans les ouvrages de son confrère.

Cette pratique a été adoptée de confiance par quelques écrivains et sans étude de la question.

À côté de ces auteurs, il en est d’autres qui écrivent constamment « Ville-Marie » et c’est cette pratique seule qui est conforme à la règle comme on va le voir. D’ailleurs l’abbé Faillon lui-même a écrit « Ville-Marie », en deux mots avec trait d’union, dans sa « Vie de monsieur Olier », en trois volumes.

Il faut écrire « Ville-Marie ».

Nombreux sont les écrivains qui ont employé cette forme.

1Monsieur Jacques Viger, annotateur de l’«Histoire du Montréal » par M. Dollier de Casson, 3e supérieur de Montréal, écrit Ville-Marie en deux mots, comme d’ailleurs M. de Maisonneuve lui-même dont il cite plusieurs autographes.
2.L’annuaire ecclésiastique rédigé en langue française et si répandu au Canada, «Le Canada ecclésiastique », parvenu à sa trente-deuxième année, écrit ce mot de la même manière, en mentionnant la paroisse de ce nom dans le diocèse d’Haileybury.
3.La publication officielle commune aux diverses compagnies de chemin de fer du Canada et intitulée « Canadian Official Railway Guide », écrit ce mot avec deux majuscules, et, ce qui est plus étonnant dans une publication de langue anglaise, avec un trait d’union.
4.Également la publication officielle des postes canadiennes intitulée Guide officiel du service postal canadien, qui est réédité chaque année, écrit aussi ce nom en deux mots.
5.Nos anciens historiens mentionnent à peinte le nom de Ville-Marie et l’écrivent comme M. Faillon en un seul mot. Mais les plus récents ont eu soin de corriger cette erreur et l’on trouve dans l’«Histoire du Canada », du P, Bourgeois, C.S.C. Et dans celle des Frères des Écoles chrétiennes le nom « Ville-Marie », écrit avec deux majuscules et trait d’union. La plupart, sinon toutes les histoires du Canada à l’usage des classes élémentaires écrivent correctement ce beau nom.
6.Il ne faut pas s’étonner que ce nom ne se lise pas dans les dictionnaires français imprimés en Europe. Mais il fait plaisir de le lire dans nos suppléments canadiens des dictionnaires français de Larousse et de Guérin. En deux endroits chacun, ils écrivent « Ville-Marie » en deux mots avec trait-d’union.

7.Il est inutile de continuer des citations d’auteurs privés ; celles qui précèdent, et qui proviennent d’une source officielle, ou d’un usage général au pays, suffisent amplement. Toutefois, il n’est pas superflu de rappeler la règle qui régit cette appellation.

La règle générale qui exige qu’on donne la majuscule à tout nom propre de lieu est ici insuffisante. Elle ne peut guider que pour trois espèces de noms de lieu : 1) ceux qui sont simples, comme Canada, Québec, Chambly ; 2) ceux qui sont formés de deux noms communs, comme Valmont, Pontmain ; 3) ceux qui sont formés d’un nom propre et d’un nom commun en second lieu, comme Boucherville, Marieville. Mais lorsque le nom de lieu est composé d’un nom commun et d’un nom propre en second lieu,, aussi bien que de deux noms propres, ou encore d’un nom et d’un adjectif ou vice-verse d’un adjectif et d’un nom il faut recourir à d’autres règles. Or la règle qui concerne les noms composés d’un nom commun et d’un nom propre peut se formuler ainsi :

Les noms propres de lieu formés (depuis le XVIe siècle) d’un nom commun et d’un nom propre (de lieu ou de personnes) s’écrivent avec deux majuscules et un trait-d’union.

Il fait faire une restriction au sujet des noms formés avant le XVIe siècle, vie qu’ils s’écrivent sans trait d’union avec une seule majuscule, comme Villemaire, Beauharnois, Villeneuve, etc.

On trouve dans les dictionnaires français un grand nombre d’exemples qui ressortissent de cette règle, soit qu’ils aient, à cause de leur ancienneté. Donné naissance à la règle, soit que formés plus tard, ils aient été écrits dès le début selon la règle. Ce sont :

Château-Chalons, Château-Clunion, Château-Gailalrd, Château-Gonthier, Château-Lafitte, Château-Laudon, Château-Margaux, Château-Porcien, Château-Regnault, Château-Salines, Château-Thierry, Moulins-Engilbert, Pont-Audemer, Pont-Aven, Pont-Noyelles, Pont-Scortf, Pont-Bourbon, Port-Castries, Port-Cros, Port-Louis, Port-Saïd, Port-Vendre, Prince-Albert, Val-Dieu, Val-Richer, Ville-Dieu.

Ces exemples, quoique restreints à la catégorie de ceux qui sont formés d’un nom commun et d’un nom propre, pourraient être multipliés.

Il vaut mieux citer des noms de lieux du Canada. Ce sont :
Bourg-Lonis, Château-Richer, Fort-Coulong, For-Providence, Lac-Beauport, Lac-Etchemin, Lac-Masson, Lac-Mégantic, Mont-Carmel, Mont-Laurier, Mont-Louis, Mont-Marie, Mont-Rolland, Mont-Têtu, Pointe-Chambord, Pointe-Gatineau, Pointe-Lévis, Pont-Viau, Port-Albert, Port-Arthur, Port-Daniel, Port-George, Port-Louis, Rivière-Gagnon, Rivière-Mailloux, Rivière-Ouelle, Rivière-Pentecôte, Rivière-Pierre, Prince-Albert, Prince-Arthur, Prince-Edouard, Prince-Rupert, Ville-Marie, Ville-Barrette, Val-Cartier, Val-Jalbert, Val-Hean, Val-Marie, Val-Morin, Val-Quesne, Val-Racine.

Cette liste n’est pas complète et d’ailleurs s’accroît presque chaque année. Mais n’est-elle pas suffisante ? Assurément bien des règles de grammaire ne sont pas appuyées aussi solidement.

Il est vrai que quelques-uns des exemples cités ici, surtout de ceux du Canada, où l’on a malheureusement moins qu’en France, le soucie de l’exacte orthographe, sont souvent mal écrits, soit avec une seule majuscule, soit avec deux majuscules mais sans trait d’union, à la manière anglaise. Mais il est facile, quand on connaît la règle, de remarquer l’erreur ou l’exception, rare d’ailleurs, et d’éviter de prendre celles-ci pour des exemples d’une règle erronée et inexistante. Il reste assez de mots généralement bien écrits dans nos diverses publications, surtout dans les dictionnaires pour justifier la règle qu’on devrait s’efforcer davantage de connaître et d’observer.
On voit donc combien est fondée la pratique d’écrire « Ville-Marie » et de renoncer absolument d’écrire ce nom en un seul mot, ou sans trait d’union.

Abbé Joseph Saint-Denis, Chambly.

Notes

Il ne faut pas s’étonner que le guide des postes omette le trait d’union à quelques mots, par suite de l’influence anglaise du lieu où il est rédigé et imprimé. Il suffit à la preuve qu’il écrive ce nom en deux mots.

En prenant le mot « lac » dans son sens propre, il faut écrire : le lac Beauport, Etchemin, Masson, Mégantic. Mais lorsque le mot « lac » est employé au figuré pour désigner toute autre chose qu’un lac, il forme un nomm composé qui réclame la majuscule et le trait d’union.

Lorsqu’on désigne un mont, il faut écrire « mont » avec minuscule et sans trait d’union. C’est pour la même raison qu’il faut écrire, en parlant du mont lui-même le mont Blanc (en France), le mont Royal (à Montréal), tandis qu’au contraire, on écrira le Mont-Blanc en parlant d’un département français, et le Mont-Royal en désignant un parc, une rue, un mgasin, une compagnie d’assurance, etc.

On devrait écrire la pointe Chambord, Gatineau, Lévis, Claire, etc. pour désigner la pointe elle-même, c’est-à-dire la langue de terre qui s’avance dans un fleuve, une rivière, un lac, mais en former un nom composé pour désigner un village ou une ville.

On doit écrire le pon Viau, le prt Albert, Arthur, Daniel, Georges, Louis pour désigner le pont ou le port lui-même, c’est-à-dire un pont ou le bassin d’eau où mouillent les bateaux. Mais on écrira Pont-Viau, Port-Albert, etc. pour désigner une municipalité ou une ville adjacente.

La rivière Gagnon, la rivière Ouelle (aussi Rouge) désignent le cours d’eau. On doit en faire un nom composé pour désigner un établissement situé sur ses bords.

Le prince Arthur, Albert, Édouard, Rupert ne désignent que le personnage de ce nom. En désignant une île (île du Prince-Édouard) ou une ville (Prince-Arthur), on emploie double majuscule et le trait d’union.

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La chapelle Bonsecours, située au cœur du Vieux-Montréal, les rues sont désertes lors de la pandémie de COVID-19 en avril 2010. Photo de GrandQuebec.com.
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