Cet homme, mérite-il les reproches des siens ou pas ?
(Le Courrier de Colette, le 2 avril 1952)
Rien n’est plus agaçant pour une femme que d’avoir un homme dans sa maison lorsqu’elle vaque a son ménage.
D – Je suis marié depuis vingt-quatre ans et père de deux grands enfants qui travaillent et payent une pension raisonnable à leur mère. Nous ne sommes pas riches, mais nous avons une petite propriété qui rapporte quelques revenus. Depuis deux ans, je suis sans emploi, ayant perdu celui que j’avais. Pour un homme d’un certain âge il est assez difficile de trouver une bonne place, vous le savez peut-être. Or ma femme est devenue extremement malcommode ei me boude presque tout le temps. Je l’aide aux travaux du ménage, je ne sors pas ni ne bois ; je ne mérite pas ses reproches. De plus, je m’aperçois qu’elle est en train de tourner les enfants contre moi. Ma fille me parle à peine et le garçon m’envoie promener si je lui adresse quelques remontrances. Cet état de chose a mis le trouble dans mon ménage. J’ai tout essayé pour leur faire comprendre le bon sens ; on dirait qu’ils complotent entre eux pour me rendre la vie dure. Pourtant, je n’ai rien à me reprocher. Dites-moi ce que je pourrais faire pour rétablir le calme et l’harmonie dans la maison? (Signé J.-A.B.)
Réponse : Il faudrait chercher et trouver une occupation vous obligeant à sortir chaque jour de la maison et vous procurant les moyens à apporter chaque semaine votre quote-part des subsides nécessaires a la subsistance de la famille. Deux ans de chômage, à notre époque, voilà qui semble un peu excessif et ne dénote pas une grande initiative ni un amour désordonné du travail. À votre place, je ferais un noble effort pour mettre tin a ces vacances forcées. Il n’est pas question que votre santé soit en cause ni que vous exerciez un métier périmé : d’ailleurs, un homme actif peut toujours trouver à s’occuper et c’est sans doute ce qui pensent votre femme et vos enfants.
Rien n’agace une femme autant que d’avoir un homme dans la| maison quand elle vague à son ménage. La vôtre aimerait sans doute mieux vous voir travailler et apporter de l’argent à la maison que de recevoir votre aide dans sa besogne. Elle a tort de vous adresser des reproches si vous faites votre possible pour remplir vos obligations, mais il faut bien lui pardonner ses erreurs comme vous souhaitez qu’elle vous pardonne les vôtres. Que voulez-vous ? c’est énervant pour une femme d’avoir tout le jour son homme à ne rien faire dans la maison, comme ce le serait pour un homme à son travail de supporter sa femme à côté de lui. Il faut, chacun de votre côté, faire des efforts pour vous entendre et no pas mêler les enfants a vos querelles. Vous êtes le chef de famille, sans compter pour cela sur votre femme, vous devez savoir imposer à vos enfants le respect qu’ils vous doivent. Reprenez courage et surtout, tâchez de retrouver du travail. Tout ira mieux, dès que vous gagnerez de nouveau le pain des vôtres.
Il est fort possible que, dans le métier que vous exerciez, il y ait du chômage, mais on peut toujours changer de métier ou trouver un emploi transitoire qui vous tienne au moins occupe et vous soustrait à l’obligation de vivre aux dépens des vôtres. Croyez-moi. il n’y a pas d’autre remède à la situation et celle-ci s’aggrave sans cesse, si vous continuez de traîner vos savates dans la maison, à la journée longue.
Vous me direz que les égards dus au chef de famille ne sont pas de vains mots, qu’un homme qui n’a pas de vice, et qui s’efforce de montrer bon caractere a droit a une appreciation favorable de la part des siens. D’accord, mais la situation n’en demeure pas moins anormale dans le foyer dans lequel les rôles étant renverses, le père reçoit la pitance des mains de ses enfants, sans qu’aucune raison valable, ne justifie cet état de choses. Il faut bien pardonner à une femme un mouvement d’importance devant une anomalie qui menace de se prolonger indéfiniment. La vôtre ne devrait pas indisposer les enfants contre vous, c’est entendu, mais êtes-vous bien certain que ceux-ci, d’eau mêmes, ne s’aviseraient pas de juger sévèrement une inertie qu’ils comprennent sans doute difficilement.
Je vous engage à trouver une occupation le plus tôt possible. C’est le seul moyen de ramener, je le répète, la paix à votre foyer.
Colette.
