Pourquoi dort-on mal dans un endroit inconnu ?
Dormir dans un endroit inconnu. Si vous vous êtes déjà retrouvé à vous retourner dans un lit d’hôtel ou sur un futon chez un ami, vous n’êtes pas seul. Une étude du groupe InterContinental Hotels (IHG) a déterminé que 80 % des voyageurs peinent à dormir loin de chez eux, et près de la moitié attribuent cela au fait d’être dans un environnement inconnu.
Ce phénomène largement répandu s’explique en effet scientifiquement. On l’appelle « effet de première nuit » (EPN), et c’est un sujet d’étude chez les spécialistes du sommeil depuis des décennies. Cette réaction naturelle du cerveau face à la nouveauté est profondément ancrée dans notre architecture cérébrale en raison de notre histoire évolutive.
Ces dernières années, la science a permis d’en savoir plus sur l’origine de l’EPN et, heureusement, de donner des conseils pour mieux dormir loin de chez soi. Découvrons les faits.
Qu’est-ce que l’effet de première nuit ?
En résumé, le cerveau ne se met pas totalement en veille durant la première nuit dans un nouveau lieu, amenant souvent les voyageurs à se sentir fatigués le lendemain. Les recherches montrent qu’un hémisphère cérébral, généralement le gauche, reste plus en alerte toute la nuit, surveillant discrètement l’environnement pour détecter un danger et nous protéger. L’effet de première nuit est si bien documenté que les scientifiques jettent souvent les données de la première nuit dans les études sur le sommeil, car il fausse les résultats.
En 2016, des chercheurs de l’Université Brown ont étudié ce phénomène en observant l’activité cérébrale de volontaires dans un laboratoire de sommeil. Lors de la première nuit, le côté gauche de leur cerveau réagissait fortement à des bips irréguliers, tandis que le côté droit restait dans un sommeil plus profond. Dès la deuxième nuit, les deux hémisphères ne réagissaient plus beaucoup, témoignant d’un sommeil plus réparateur, la vigilance initiale de l’hémisphère gauche ayant diminué.
Selon les scientifiques, cela s’explique par le fait que l’environnement devenait plus familier dès la deuxième nuit, donc perçu comme moins menaçant. L’étude conclut que « mal dormir dans un endroit inconnu est un réflexe de survie ».
Un instinct animal
La vigilance partielle du cerveau lors de l’effet de première nuit ressemble à la façon dont les animaux demeurent sur le qui-vive dans la nature, ce qui suggère une adaptation évolutive. De nombreux animaux ont développé leur propre version de ce sommeil asymétrique pour se protéger. L’humain et certains mammifères réagissent par le sommeil lent bi-hémisphérique, durant lequel les deux hémisphères dorment, mais l’un peut rester plus vigilant.
Cependant, certains animaux sont allés plus loin. Des espèces comme les baleines, dauphins, otaries et certains oiseaux pratiquent le sommeil lent uni-hémisphérique, où un hémisphère dort pendant que l’autre reste éveillé, leur offrant une vigilance accrue face au danger. Certains oiseaux et dauphins arrivent littéralement à « dormir d’un œil » pour guetter les prédateurs.
Chez l’humain, ce mécanisme ne s’active en général que lorsqu’on dort dans un nouvel environnement, confirmant qu’il s’agit d’un instinct ancré visant à nous protéger, non à nous gêner.
Au-delà de la première nuit
Même si l’effet de première nuit est le plus fort lors du premier sommeil hors de chez soi, des études montrent qu’il peut durer plusieurs jours pour certains voyageurs, avec des réveils fréquents et une baisse d’énergie. L’une des causes de cet EPN prolongé pourrait être son impact sur le sommeil paradoxal (REM), une phase clé liée à la mémoire et à l’équilibre émotionnel.
Dans une expérience, l’effet de première nuit a perturbé le sommeil paradoxal sur plusieurs nuits consécutives. Selon la Harvard Medical School : « Le sommeil REM est si important que si vous n’en avez pas assez une nuit, le corps compense et en augmente la durée la suivante, c’est le phénomène de rebond REM. » Autrement dit, si l’EPN perturbe votre sommeil paradoxal une nuit, la dette peut se répercuter sur plusieurs nuits suivant le voyage.
Comment réduire l’effet de première nuit
Comme l’explique Rebecca Robbins, professeure à Harvard Medical School, « La réalité est que lorsqu’on dort dans un endroit inconnu, il est fondamentalement plus difficile de se détendre ». Elle travaille à identifier des changements de comportement pour améliorer le sommeil. Malgré les effets et la durée de l’EPN, il existe des moyens de calmer le cerveau et d’obtenir un meilleur sommeil dans un nouvel environnement.
La clé est d’introduire des repères sensoriels familiers et rassurants pour signaler au cerveau que l’on est en sécurité. Des gestes simples comme emporter son oreiller, appliquer une lotion ou une huile essentielle familière, ou écouter de la musique douce ou un bruit blanc, peuvent créer une sensation de sécurité. Ces petites habitudes du quotidien peuvent suffire à tromper le cerveau, qui va croire n’être pas dans un lieu étranger et ainsi permettre un sommeil plus profond — pour des nuits et des voyages plus reposants.