Un espoir nouveau au port de Québec : plans de créer le principal havre de transbordement du vrac liquide en Amérique
Avec comme pierre d’assise la multinationale Unitank, établie à Beauport depuis trois ans, le port de Québec deviendra-t-il le principal havre de transbordement du vrac liquide en Amérique? C’est en tout cas l’attente que l’on crée dans la population par l’annonce, lundi, d’une liaison permanente avec le port hollandais de Rotterdam, d’une autre à venir avec le havre américain de Houston et d’une troisième, peut-être, avec le port anglais de Liverpool.
Cette fois un autre défi de taille git sur la table: tenter d’amener les navires en provenance de l’étranger à vider leur vrac liquide ici plutôt que dans les ports des Grands Lacs, le centre industrialo-portuaire actuel du continent dont la seule puissance fut à l’origine de la construction de la Voie maritime du St-Laurent, il y a 20 ans.
Les spécialistes ne s’entendent pas pour déterminer si cette voie d’écluses a effectivement profité ou nui aux ports du St-Laurent. En particulier depuis la prise de pouvoir du Parti québécois, en 1976, une polémique crypto partisane se poursuit entre les tenants du fédéralisme et ceux de la souveraineté, pour vider (en vain) cette question.
Un géographe montréalais soi disant neutraliste, M. Jean-Claude Lasserre affirmait, la semaine dernière, que la hausse du trafic à Québec, depuis vingt ans, n’a rien à voir avec la Voie maritime mais s’explique par:
- L’approfondissement du chenal d’accès au port;
- L’installation de la raffinerie Golden Eagle;
- La présence, jusqu’à il y a deux ans, du débarcadère à conteneurs du Canadien Pacifique;
- Le développement des battures de Beauport.
Montréal a alors perdu ses attributs antérieurs à 1959. Il ne serait plus qu’une escale possible sur la route des “lakers » et sa mission principale de transbordement aurait été redistribuée “entre tous les ports laurentiens ». D’où l’attitude corrective des autorités portuaires de la métropole de tout mettre en oeuvre pour reconquérir leurs lettres de noblesse, notamment par le creusage du chenal pour accueillir de plus gros océaniques; la relocalisation des installations actuelles; et le développement de la capacité d’accueil des porte-conteneurs de troisième et quatrième génération.
Il s’ensuit que la concurrence portuaire entre Québec et Montréal s’exercera de façon très vive, d’ici les prochaines années, si chacun veut tirer les marrons du feu. Et dans cette perspective, la présence d’Unitank et de l’entreprise privée en général constitue un gage d’agressivité prometteur. Devant l’American Marketing Association réunie à Sainte-Foy, lundi, le président Jean-Paul Biron, du port de Québec, soulignait ce mot “concurrence” qui se jouxte maintenant à la complémentarité traditionnelle entre les ports publics ou privés du Québec.
« On est peut-être une corporation du gouvernement (Conseil fédéral des ports nationaux), ce qui ne veut pas dire qu’on se laisse vivre », ajoute M. Biron qui, à l’instar de son homologue montréalais, M. Roger Beauchemin, affirme que, désormais, la dimension « marketing » joue un rôle capital dans le développement et la planification d’un port.
Cette concurrence revêt une dimension particulière depuis la mise en branle du super-port en eau profonde de Gros-Cacouna par l’entreprise privée. D’ici la fin du siècle, on se promet bien, en aval, de réaliser en quatre étapes des installations portuaires de transbordement ultramodernes pour les cargaisons de produits en vrac. Cette promesse qui s’allie à l’agressivité naturelle d’une région continuellement laissée à elle-même, pourrait singulièrement court-circuiter les velléités triomphalistes de Québec et de Montréal.
Pendant que Gros-Cacouna investira $350 millions en dix ans. à Quebec quelques compagnies comme Unitank, Bunge, Ledden, Cargill et la Commission canadienne du lait ont déboursé quelque $25 millions, en deux ans, pour le développement du port de Québec. Entre-temps, M. Biron entretient toujours l’espoir de voir surgir, un jour, des projets sur la glace comme: le fameux terminus forestier maritime; un terminus public à conteneurs cette fois à la mesure des besoins de la région; un terminus roll-on/roll-off pour le transport des camions-remorques sillonnant la Côte-Nord; un moulin à farine… etc.
Non seulement le havre local nage-t-il dans l’incertitude sur ces plans mais la dimension environnementale constitue aujourd’hui un obstacle qui peut infléchir la construction et l’exploitation d’autres installations portuaires. Ainsi, l’extension du remplissage des battures de Beauport ne saurait plus passer inaperçue. L’aménagement du Vieux-Port pour permettre au public d’accéder au fleuve a mis en cause le problème des fouilles archéologiques. La pollution de l’air dans la région des silos à céréales demeure excessive. Le spectre du transbordement de liquides ou de produits chimiques ravivera peut-être les craintes d’un “Mississauga”…
Néanmoins, avec le fonctionnarisme et le tourisme, le port s’avère un élément moteur primordial dans la région de Québec. Ses activités occasionnent des retombées économiques de quelque $100 millions ainsi que près de 5,000 emplois directs et indirects. Conséquemment, si on ne veut pas en faire un “mal nécessaire”, M. Biron a bien raison d’inciter le public et les organismes régionaux à prendre une part vraiment active à son développement.
(Ce texte a paru dans le journal Le Soleil, le 27 février 1980).
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