Ville de Québec

La vie des chantiers

La vie des chantiers

La vie dans les chantiers

Par Albert Jobin

Fils et petit-fils de charpentier, j’ai, sinon vécu, du moins bien connu la vie de cette classe de travailleurs. Je me souviens du temps où j’étais obligé de traverser un chantier naval pour me rendre à la petite école de Mlle Adam, (coin des rues Prince-Edouard et Laberge). Et quand, petit gars, je pouvais m’échapper de la surveillance de ma mère, vite je courais au chantier pour y jouir du spectacle des charpentiers au travail. C’était intéressant.

C’était un rude métier que celui de charpentier.

Généralement on ne construisait que durant la saison de l’hiver. De plus, dans ce temps-là, il n’y avait ni treuil ni scie mécanique; tout se faisait à bras d’hommes. Ainsi, en entrant dans le chantier, que voyait-on tout d’abord? C’était l’équarrissage des plançons à la grand’hache. Les éclats de bois tombaient dru. Puis, un peu plus loin, se tenaient les scieurs-de-long, juchés sur leur pièce de bois et en train de travailler avec leur scie-dé-long. Ça prenait deux bons hommes pour manier cet outil lourd, et cela des heures durant.

À ces travaux pénibles, il faut ajouter les longues heures de travail. On trimait dès 7 heures du matin jusqu’à 6 heures du soir, avec une heure d’interruption pour le dîner. Plusieurs même prenaient leur repas sur le chantier.

Malgré tout, malgré ses sueurs, l’ouvrier besognait avec entrain et gaieté… Ainsi, s’agissait-il de transporter une membrure de moyenne pesanteur, telle qu’un genou, une allonge, une varangue, un groupe d’hommes s’amenait; et au cri de «ensemble», lancé par le chef d’équipe, la pièce de bois était hissée sur les épaules. Alors, au pas cadencé d’un refrain populaire, les porteurs transportaient la pièce à la chaufferie, ou escaladaient les échafauds.

Mais il y avait un chant qu’on aimait par-dessus tout à entendre, c’était celui de Charley-men. Ce chant ne s’entendait que lorsqu’il s’agissait de placer une pièce lourde comme la quille, l’étrave, l’étambot, un mât, etc. Il n’y avait pas de treuil, comme je l’ai déjà dit.

Alors, c’était tout un travail. Au moyen de cordes, de leviers, etc., tous les ouvriers du chantier s’attelaient, et le transport de la pièce se faisait par à-coups. La plus belle voix dirigeait la manœuvre. Au moment de faire l’effort voulu, le chanteur fionnait 2 ou 3 notes musicales, puis lançait, en le chantant, son cri de Charley-men. À ces mots, tous les travaillants se contractaient les muscles, faisaient un effort d’ensemble et la pièce de bois avançait de quelques pas. Puis l’on recommençait ce rite.

Ainsi, il nous était donné d’entendre ce chant de Charley-men, jusqu’à ce que la pièce fut mise en place. C’était réellement agréable d’entendre ce chant des charpentiers. Ceux qui l’ont entendu ne me contrediront certainement pas.

Voilà une des raisons qui nous portait à fréquenter les chantiers navals. De plus, il y avait un vrai plaisir à voir sortir de terre d’abord la carcasse du navire; puis, petit à petit, celle-ci prenait une belle forme et devenait un beau bâtiment. Alors, le jour du lancement approchait.

(D’après Albert Jobin, Histoire de Québec, 1947).

soirée de québec

Bonsoir, la ville de Québec. Photo : © Lucie Dumalo.

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