Les soldats et les officiers de la Grande Armée
Les Revues des grenadiers
La paix de devait pas durer longtemps; l’Empereur rassemblait de tous côtés de l’artillerie et du matériel.
Aux revues, il se faisait ouvrir les caissons et les fourgons, montant sur les roues pour s’assurer que rien n’y manquait. Il inspectait jusqu’à la pharmacie, et aux pelles ou pioches des soldats du génie. Les chefs tremblaient à le voir, car il les menait durement, s’il trouvait quelque négligence. C’était l’homme le plus rigoureux, mais à la fois le meilleur et le plus chéri de tous.
Et voici un extrait du « Livre d’ordres des grenadiers à cheval de la Garde consulaire » :
Saint-Cloud, 22 floréal an X (1802)
Les soldats!
Le grenadier Grobbin s’est suicidé pour des raisons d’amour; il était d’ailleurs bon sujet. C’est le second événement de cette nature qui arrive au corps depuis un mois.
Le premier consul fait savoir aux soldats ces faits et ordonne le suivant:
Le premier consul ordonne qu’il soit mis à l’ordre du jour qu’un soldat doit savoir vaincre la douleur et la mélancolie des passions; qu’il y a autant de vrai courage et valeur à souffrir avec constance les peines de l’âme qui sont parfois beaucoup plus dures qu’à rester fixe sous la mitraille d’une batterie.
Soldat! S’abandonner au chagrin sans résister, se tuer pour s’y soustraire, c’est abandonner le champ de bataille ou prendre le cours de la déroute avant d’avoir vaincu. Résister à la fin! Soit brave, mon ami!
(Coignet, Vingt Ans de Gloire avec l’Empereur).

Les officiers supérieurs de Napoléon
Madame de Rémusat, dame d’honneur à la cour de l’Empereur, raconte de façon vivante et un peu méchante comment Napoléon mène ses officiers supérieurs :
Il a été reconnu que Bonaparte n’était pas toujours bien exact dans la répartition de gloire qu’il accordait à ses généraux. Dans un de ces accès de franchise qu’il se permettait quelquefois, je lui ai entendu dire qu’il n’aimait à donner de la gloire qu’à ceux qui ne pouvaient la porter. Il lui arrivait, selon sa politique à l’égard des chefs qu’il avait sous ses ordres, ou le degré de confiance qu’ils lui inspiraient, de garder le silence sur certaines victoires, ou de changer en succès telle faute de tel maréchal. Quelquefois, un général apprenait par un bulletin une action qu’il n’avait jamais faite, ou un discours qu’il n’avait jamais tenu. Un autre se voyait tout à coup exalté dans les journaux, et cherchait quelle occasion lui avait mérité cette distinction.
On essayait de réclamer contre l’oubli, ou lorsqu’on voyait les événements dénaturés;mais le moyen de revenir sur ce qui était passé, lu et déjà effacé par des nouvelles plus récentes? Car la rapidité de Bonaparte à la guerre donnait tous les jours quelque chose à apprendre. Alors il imposait silence à la réclamation, ou, s’il avait besoin d’apaiser le chef qui se trouvait offensé, une somme d’argent, une prise sur l’ennemi, la permission de lever une contribution lui étaient accordées, et ainsi se terminait le différend.
Cet esprit de ruse, inhérent au caractère de Bonaparte, et qu’il employait adroitement à l’égard de ses maréchaux et de ses officiers supérieurs, pourrait se justifier, jusqu’à un certain point, par la difficulté qu’il éprouvait quelquefois à contenir un si grand nombre d’individus de caractères si différents, et ayant tous des prétentions pareilles.
Connaissant parfaitement la portée de leurs divers talents, sachant à quoi chacun d’entre eux pouvait lui être utile, obligé sans cesse, en récompensant leurs services, de réprimer leur orgueil et leur jalousie, il lui fallait user de tous les moyens pour y parvenir, et, surtout, ne pas laisser échapper l’occasion de leur montrer qu’entièrement dépendants de lui, leur gloire comme leur fortune était dans ses mains. Une fois qu’il y fut parvenu, il fut certain de n’être point inquiété par eux, et de pouvoir payer leurs services au prix qu’il les évaluerait.
Au reste, les maréchaux, en général, n’ont pas eu à se plaindre qu’il ne les ait pas, pour la plupart, portés à un prix très hauts. Souvent il y a eu du gigantesque dans les récompenses qu’ils ont obtenues, et la durée des guerres ayant monté leurs espérances au plus haut degré, on les a vus devenir ducs et princes sans en être surpris, et finir par croire que la royauté seule pouvait terminer dignement leur destinée. Des sommes immenses leur furent distribuées, on leur toléra des exactions de tout genre sur les vaincus; il y en a qui firent des fortunes énormes, et, si la plupart d’entre ces fortunes se sont fondues avec le gouvernement sous lequel elles s’étaient formées, c’est que la facilité avec laquelle elles avaient été acquises leur fut un encouragement à les dépenser avec prodigalité, dans la confiance où ils étaient que ces moyens d’acquérir ne s’épuiseraient jamais pour eux.
Dans cette première campagne du règne de Napoléon, quoique l’armée fût encore soumise à une discipline dont plus tard elle s’eft fort écartée, les pays conquis se virent dévoués à la rapacité du vainqueur, et nombre de grands seigneurs et de princes autrichiens payèrent de l’entier pillage de leurs châteaux l’obligation où ils se trouvèrent de loger une seule nuit, quelques heures seulement, un officier général. Le soldat était contenu, et, en apparence, le bon ordre paraissait établi, mais on ne pouvait empêcher tel maréchal, au moment de son départ, d’emporter du château qu’il abandonnait ce qui était à sa convenance. J’ai vu, au retour de cette guerre, la maréchale… nous conter en riant que son mari, sachant le goût qu’elle avait pour la musique, lui avait envoyé une collection énorme qu’il trouva chez je ne sais quel prince allemand, et nous dire, avec la même naïveté, qu’il lui avait adressé un si grand nombre de caisses, remplies de lustres et de cristaux de Vienne ramassés de tous côtés, qu’elle ne savait plus où les placer.
Mais, en même temps que l’Empereur savait tenir d’une main si ferme les prétentions de ses généraux, il n’épargnait rien pour encourager et satisfaire le soldat. Après la prise d’Ulma, un décret annonça que le mois de vendémiaire, qui venait de s’écouler, serait à lui seul compté pour une campagne.
(Mme de Rémusat. Mémoires).

L’habillement des troupes
L’habillement des troupes a été longuement étudié. Voici un extrait de l’Histoire de la France et de Napoléon Bonaparte, par Thibaudeau :
On discuta, au Conseil d’État, un projet sur l’habillement des troupes. Sous la monarchie, l’uniforme de l’infanterie était blanc comme le drapeau; depuis la Révolution, le drapeau tricolore et l’uniforme bleu les avaient remplacés. Le peuple français avait un culte pour les couleurs nationales consacrées par la conquête de sa liberté et le triomphe de ses armes.
L’Empereur voulut rendre l’uniforme blanc à l’infanterie de ligne; il y trouvait une grande économie. On opposait avec raison, et il en convenait, que le bleu n’avait pas mal réussi jusqu’à présent aux armées françaises; mais il ne pensait pas que leur force fût dans la couleur de leur habit, comme celle de Samson dans ses cheveux. Malgré le rire qu’excita dans le Conseil d’État cette comparaison, elle manquait de justesse; la chose était sérieuse, la mesure impolitique : aussi ne réussit-elle point. Le bleu, uniforme national, triompha et se maintint, défendu par l’opinion civile et militaire, et revendiqué par l’armée.
(Thibaudeau. Histoire de la France et Napoléon Bonaparte).
Les soldats sont très fiers de leur tenue. Coignet nous décrit ici celle des grenadiers de la Garde :
Quand nous étions sous les armes, en grande tenue, nous portions l’habit bleu à revers blancs, échancré sur le bas de la poitrine; la veste de basin blanc, la culotte et les guêtres de basin blanc; la boucle d’argent aux souliers et à la culotte; la cravate double, blanche dessous et noire dessus, laissant apercevoir un petit liséré blanc vers le haut.
En petite tenue, nous avions le frac bleu, la veste de basin blanc, la culotte de nankin et les bas de coton blanc uni. Ajoutez à cela les ailes de pigeon poudrées et la queue longue de six pouces, avec le bout coupé en brosse et retenu par un ruban de laine noire, flottant de deux pouces, ni plus ni moins. Ajoutez encore le bonne à poil avec son grand plumet; vous aurez la tenue d’été de la Garde impériale. Mais ce dont rien ne peut donner une idée, c’est l’extrême propreté à laquelle nous étions assujettis. Quand nous dépassions la grille du casernement, les plantons nous inspectaient, et, s’il y avait une apparence de poussière sur nos souliers ou un grain de poudre sur le collet de notre habit, on nous faisait rentrer. Nous étions magnifiques, mais abominablement gênés.
(Coignet. Vingt Ans de Gloire avec l’Empereur).