
Plan de campagne des armées alliées à la veille d’Austerlitz
On craignait tellement que Napoléon n’acceptât pas la bataille qu’on se dépécha d’en finir les dispositions.
Voici le résultat de ces dispositions :
La première colonne, sous Doctouroff, devait marcher de Hostieraden, par Aujezd, vers Tellnitz, s’emperer du village et se diriger à droite, se tenant à la hauteur de la deuxième colonne, sous les ordres du comte Langeron, qui avait reçu l’injoction de se faire jour à travers Tellnitz et Sokolnitz pour s’en emparer, et se tenir à la hauteur des deux premières colonnes. Ces trois colonnes étaient confiées au comte de Buxhoewden. La quatrième, celle de Kolowrat, devait se faire jour près de Kobelnitz, se joindre à la troisième, en marchant par sa gauche, et, réunie à elle, attaquer et renverser l’aile droite de l’ennemi vers Latein.
Le prince Bagration devait, au commencement de la bataille, rester en avant de Phorlitz, conserver à tout prix cette position ; et, quand il apercevait des succès des quatre colonnes, agir offensivement en prenant les plus grandes précautions pour ne pas risquer de se voir tourner par sa gauche. Afin de renforcer cette gauche de Bagration, on lui envoya le soir même, sous les ordres de l’aide de camp général Ouvaroff, les régiments de hussards d’Elisabethgrad, et ceux de dragons de Kharkoff et de Tchernigoff, qui précédemment faisaient partie de la cinquième colonne du prince de Lichtenstein, formée de 32 escadrons autrichiens et du régiment des lanciers du grand-duc Constantin, qui devait conserver les communications entre le prince Bagration et les premières colonnes, et profiter de la moindre circonstance favorable pour exécuter une attaque contre l’ennemi. La Garde devait, ainsi que l’aile gauche du prince Bagration, être prête à lui servir de renfort. En cas de non-réussite, la retraite devait s’opérer sur le village de Hodiegitz, sur la route de Hongrie.
(Mikhaïlovski-Danilewski, Campagne de 1805).

Plan de campagne vu par Stutterheim
Mémoires du général Stutterheim
Le général autrichien Stutterheim explique à peu près la même chose sur le plan de campagne des alliés que Mikhaïlovski-Danilevski :
Le 2 décembre, après minuit, les généraux de l’armée austro-russe reçurent la disposition pour l’attaque de l’armée française. Mais les notions vagues qu’on avait sur cette position, quoiqu’on ne fût qu’à quelques portées de fusil de l’ennemi, durent nécessairement mettre de même du vague dans les suppositions sur lesquelles cette disposition de la bataille était basée. On avait remarqué, la veille, du mouvement sur la gauche de l’ennemi ; on ignorait s’il était occasionné par l’arrivée du corps du maréchal Bernadotte. On supposait que l’armée française affaiblissait son centre pour renforcer sa gauche. Plusieurs lignes de fumée, qu’on avait également vues la veille entre Thurass et les étangs en arrière de Sokolnitz et de Kobelnitz, d’autres près de Czernowitz, firent croire que l’armée française avait appuyé sa droite à ces étangs, et une réserve derrière. La gauche de l’armée combinée débordait la droite de l’armée française. On supposait qu’en passant le défilé de Sokolnitz et de Kobelnitz, on se trouverait avoir tourné cette droite, et qu’ensuite l’attaque pourrait se continuer dans la plaine entre Schalapanitz et le bois de Thurass, en évitant ainsi les défilés de Schalanitz et de Bellowitz, qui, à ce qu’on croyait, couvraient le front de la position ennemie. L’armée française devait donc être attaquée par son flanc droit, sur lequel on voulait porter de grandes masses ; ce mouvement devait se faire avec rapidité et vigueur ; la vallée entre Tellnitz et Sokolnitz devait être franchie avec célérité ; la droite des alliés, où se trouvaient la cavalerie du prince Jean Liechtenstein et l’avant-garde du prince Bagration, devait couvrir ce mouvement, le premier de ces généraux sur la plaine entre Krug et Schlapanitz, à cheval sur la chaussée, et le second en protégeant cette cavalerie, et garnissant d’artillerie les hauteurs situées entre Dwaroschna et le cabaret de Lesch.
On faisait dépendre le sort de cette journée de la rapidité de l’attaque de notre gauche et du repliement de la droite de l’ennemi sur sa gauche. On supposait que la bataille ne serait pas décisive si le général Bagration n’était pas à même d’opposer une résistance opiniâtre aux attaques que les Français pourraient diriger contre lui, et il fut ordonné à la cavalerie du prince Liechtenstein de tomber sur les mouvements ennemis qui voudraient tenter d’entamer, surtout la gauche de ce général russe.
(Stutterheim, La Bataille d’Austerlitz).
Les Prussiens devaient commencer l’attaque
Un rapport de Stakelberg, cité par l’histoirien russe Danilewski, apporte la preuve que les troupes prussiennes devaient commencer les hostilités le 3 décembre au plus tard, même si la mission du comte d’Haugwith auprès de Napoléon n’était pas terminée. Les 25 000 hommes du corps de Grawert (général prussien) étaient en Haute-Silésie ; on attendait le corps d’Essen à Olmütz pour le 3 décembre, et quinze jours plus tard, l’armée aléée aurait pu réunir 140 000 hommes.
On peut se demander, dans de telles conditions, comment cette armée n’a pu se résoudre à attendre au moins vingt-quatre heures pour déclencher la bataille. Les historiens ont essayé d’expliquer de plusieurs façons la genèse de cette décision ; ils en ont fait peser la responsabilité tantôt sur le Tsar et son entourage, tantôt sur les officiers autrichiens.
Danilewski charge évidemment les Autrichiens :
Des personnages jouissent d’une grande influence dans le cabinet de Vienne partageaient l’opinion, généralement établie en Autriche, qu’il était impossible de vaincre Napoléon. Ils assuraient que la prolongation d’une lutte contre lui attirerait les malheurs irréparables pour la monarchie, et que, même avec la coopération de la Prusse, leur patrie deviendrait le vaste théâtre d’une interminable guerre. Ils désiraient être délivrés le plus tôt possible, non seulement des maux qui pesaient sur leur payse, mais encore de tous ceux qu’il était prudent de prévoir ; pour tout dire, ils voulaient la paix à tout prix.
L’empereur Alexandre était un obstacle à l’accomplissement de ces désirs, et,m pour paralyser sa fermeté, ils ne trouvèrent rien de mieux que de forcer son armée à combattre. Ce moyen d’ailleurs ne pouvait, en tout cas, causer de grandes pertes à leurs compatriotes, car in ne se trouvait au camp d’Olmütz que 14 000 Autrichiens provenus, en grande partie, de nouvelles levés ; le reste de l’armée était composé de Russes ; le sacrifice des Autrichiens n’était donc pas énorme ; tout le poids de la perte d,une bataille devait retomber sur nous seuls. Ces détails, dont nous garnisons l’authenticité, éclairent un point ignoré jusqu’à ce jour : c’est qu’une victoire ou une défaite importait peu à ces solliciteurs de la paix, qui ne voulaient que la paix.
On croyait généralement que, si Napoléon était battu, il se retirerait, et que, s’il était vainqueur, il profiterait de sa victoire pour proposer la paix. D’ailleurs, du côté des Russes, on ne demandait qu’à se mesurer avec Napoléon ; l’armée, remplie d’ardeur, avait l’espoir d’un succès ; enfin elle se montrait jalouse de se battre sous les yeux de son jeune et glorieux souverain.
Telles furent les raisons qui, indépendamment du manque de subsistances, poussèrent fatalement notre armée à prendre l’offensive, dans un moment où il n’y avait ni accord ni unité dans le commandement.
En décrivant la belle retraite de Koutouzoff, nous avons vu que la cour de Vienne lui expédiat des ordres d’après lesquels il devait opérer ; …
Tout en approuvant les propositions des généraux autrichiens, Koutouzoff ne se laissait nullement influencer par ces opinions étrangères ; il agissait d’après ses propres vues, en prenant sur lui la responsabilité de ses actes ; ce fut le trait caractéristique de sa conduite dans toutes les campagnes où il a commandé.
La méfiance des Autrichiens envers Souvoroff et Koutouzoff ne provenait pas de leur peu de considération pour nos généraux et pour notre armée ; ils estimaient la valeur de nos troupes, et jusqu’à présent ils leur rendent la justice qu’elles méritent ; mais ils ont, en général, une manière toute particulière de considérer la guerre, et à ce sujet leurs règles sont immuables. Ils s’imaginaient que les Russes n’étaient pas assez mûrs pour les grandes combinaisons militaires. Ces préventions furent les mêmes dans les guerres de 1813, 1814 et 1815, durant lesquelles il se passait rarement un jour sans qu’il y eût des discussions entre les généraux autrichiens et l’empereur Alexandre.
Tout en louant la retraite de Koutouzoff de Braunau jusqu’à Brünn, ils jugèrent convenable, au moment de leur réunion avec nous, à Omlütz, de le diriger à leur manière dans ses mouvements ultérieurs. L’Empereur Alexandre, encore sans expérience dans l’art de la guerre, se défiait de lui-même, et cette modes défiance dura jusqu’en 1812. Il aimait à croire que les Autrichiens, dans leurs longues luttes avec les Français, avaient apprit à fond à leur combattre. En se présentant comme un allié de l’empereur François, en accourant à son secours, il pensait, d’ailleurs, qu’il était convenable de laisser aux généraux autrichiens le soin de combiner les principales dispositions stratégiques, dont le chef et l’âme était le quartier-maître général Weyrother. Cet homme jouissait de la plus haute considération de la part des deux monarques, et trouvait des soutiens zélés dans les aides de camp généraux prince Dolgorouki et Winzengerode, qui, tous les deux, possédaient la confiance entière de l’empereur Alexandre.
Par le funeste conflit des diverses circonstances que nous venons d’indiquer, Koutouzoff cessa d’être acteur principal dans la dernière période de cette campagne, qui comporte en elle le mouvement offensif des Alliés et la bataille d’Austerlitz ; il n’eut aucune parti réelle aux événements qui se préparaient. Revêtu du titre de commandant en chef, mais privé du pouvoir accordé à ses hautes fonctions, il se soumit à la force des circonstances ; il recevait les ordres pour les transmettre à l’armée, et restait spectateur de ce qui se passait.
(Campagne de 1805, par Miklaïlowski-Danilevski).
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