Mouvements offensifs des alliées

Mouvements offensifs de l’armée alliée

Il y a du flottement dans les manœuvres de l’armée alliée qui se prépare à la bataille :

Koutouzoff devait être certain sur les mouvements et les forces de l’ennemi, à l’époque où il fut décidé qu’il reprendrait l’offensive. Les notions du pays étaient contradictoires, et ses avant-postes ne disaient rien du tout. La première disposition de la manœuvre qu’on fit pour se porter en avant n’était donc pas basée sur une connaissance exacte, et de la position de l’ennemi et du nombre qu’on aurait à combattre, mais uniquement adaptée au terrain entre Olmütz et Wischau.

Cette disposition fut donnée aux généraux le 24 novembre. On voulut marcher le 25 du mois; il était essentiel de prendre pour deux jours de vivres avec soi, et ces vivres ne pouvaient arriver que le lendemain. Le lendemain il y eut des généraux qui se trouvèrent n’avoir pas assez étudié leurs dispositions, et on perdit encore un jour. L’ennemi mit ce temps à profit; la veille de la bataille, comme déjà on l’a dit, le maréchal Bernadotte ainsi qu’une partie du corps du maréchal Davout vinrent renforcer l’empereur Napoléon (Bernadotte est arrivé deux jours avant la bataille d’Austerlitz et non la veille). On devait rappeler ici ces faits, que dans la suite encore nous aurons occasion de remarquer.

Le 27 novembre, à huit heures du matin, l’armée se mit en marche sur cinq colonnes pour se rapprocher de l’avant-garde du prince Bagration, qui ce jour-là ne fit aucun mouvement pour ne pas découvrir cette manœuvre à l’ennemi. On voulait ainsi concentrer ses forces, qui cependant, dans la suite, s’éparpillèrent de nouveau. Les cinq routes sur lesquelles l’armée se porta en avant étaient parallèles. Les deux colonnes de la droite marchèrent le long du pied des montagnes, à droite de la chaussée, et n’étaient composées que d’infanterie : celle du centre était sur la grande route de Prosnitz ; la quatrième à gauche de celle-ci, et à très peu de distance d’elle, la cinquième était toute de cavalerie, et à la vue de la quatrième. Cette dernière n’avait devant elle qu’un pays de plaine.

À cette époque, on peut évaluer le total de l’armée de M. de Koutouzoff à plus de quatre vingt mille hommes, comme on le verra d’une manière détaillée.

On attendait encore un renfort de dix mille hommes sous le général Essen; il arriva effectivement dans les environs d’Olmütz au moment où commencèrent les opérations offensives de l’armée alliée.

Le corps d’Essen était à Kremsir le jour de la bataille d’Austerlitz, et ne fut d’aucun secours. Il est très certain que l’armée de Koutouzoff était plus forte que celle qui lui était opposée; mais tandis que celle-ci étant concentrée sur un seul point et formait ensuite des masses, l’autre éparpillait ses forces à mesure qu’elle avançait.

Le prince Charles était alors à dix ou douze marches du champs des opérations; mais en fût-il été à deux ou trois, il n’eût pas empêché l’armée russe d’avoir sur les bras des forces supérieures.

C’est surtout lorsqu’on discute tout ce que l’armée ennemie pouvait faire, qu’on se convainc de la science et de la profondeur des calculs de l’Empereur, dans un terrain aussi nouveau et aussi inconnu.

On voit que toutes ces dispositions, même celles qui paraissaient être indifférentes et ne tenir qu’à la facilité de nourrir les troupes, avaient cependant un but réfléchi, et étaient le résultat d’un calcul.

(Stutterheim, La Bataille d’Austerlitz).

Récit de Danilewski

Pendant la retraite, obligé de lutter constamment contre son terrible adversaire, durant trois semaines, Koutouzoff était encore forcé de lutter avec le Conseil de guerre autrichien, et d’agir contrairement aux ordres qu’il recevait, ordres qui eussent entraîné la perte de son armée. Malgré cette divergence d’opinions avec la cour de Vienne, sous les ordres de laquelle il était placé, notre général eut le talent de conserver toujours avec elle les relations les plus amicales…

Danilewski poursuit son récit :

Koutouzoff laissa Bagration à l’arrière-garde, pour se rendre en personne de Pohorlitz à Brünn. Pendant cette marche, il reçut de l’empereur François l’ordre de s’arrêter et de livrer bataille à Napoléon.

Koutouzoff lui répondit : « Mon dévouement pour votre majesté impéreale aurait suffi pour exécuter vos ordres, si je n’étais porté par le devoir sacré d’obéir ponctuellement à votre volonté. Mais je n’ose pas vous dissimuler, Sire, qu’il est impossible de sacrifier au hasard et de confier le sort de la guerre à une seule bataille. Il m’est d’autant plus difficile de me hasarder à la chance d’un combat que nos troupes, malgré leur zèle et leur impatience de se distinguer, sont privées des forces physiques.

Épuisées par les marches forcées et par les bivouacs continuels, elles se traînent à peine; elles passent souvent vingt-quatre heures sans nourriture, faute de temps pour préparer leur manger, attaquées qu’elles sont constamment par l’ennemi. Je considère comme une nécessité absolue de me retirer, jusqu’à ce que je puisse me joindre à Buxhoeweden et aux différents détachements autrichiens. Quand nous serons renforcés par ces troupes, l’ennemi, à qui notre nombre imposera, nous laissera sans doute quelques jours de repos. Puis nous pourrons reprendre l’offensive. J’ose espérer que le signal du combat sera le pronostic des succès des armées alliées !

(Rapport de Koutouzoff à l’empereur d’Autriche, de Snanowitz, le 6 novembre 1805).

(Mikhaïlovski-Danilewski, Campagne de 1805).

Stutterheim témoigne sur le ravitaillement des alliés

L’armée alliée a beaucoup de mal à assurer son ravitaillement. Stutterheim le confirme :

Mais le quartier-maître général, officier d’un grand courage de cœur, n’avait pas celui de l’âme, et n’était pas fait pour conseiller un quartier général, où il fallait une profonde sagesse. Sans souci pour ce qui gênait son action, cet officier abandonnait trop facilement ses propres opinions, pour adopter celles des autres.

La rapidité étonnante avec laquelle les événements malheureux de cette guerre désastreuse se précipitèrent; l’excès de la folie de Mack qui ne peut être surpassée que l’excès de sa honte, et qui eut pour suite cette foule de coupables imprudences qui étonnèrent l’Europe et calomnièrent une brave armée; cette folie de ne jamais songer à la possibilité d’un revers, et de pas établir, par suite de cette présomption, des magasins sur ses derrières; furent cause que l’armée dans sa position d’Olmütz manqua presque totalement de vivres.

Elle n’y était que depuis un jour, et déjà on fut obligé d’avoir recours aux réquisitions forcées, moyen violent et qui, par le désordre avec lequel il fut exécuté, influait sur l’esprit de licence, qui dès lors se glissa dans l’armée. Le gain du temps valait, à cette époque, presque celui d’une bataille, vu la situation politique des affaires, et dès qu’on ne voulait pas manœuvrer, il aurait été de la plus haute importance de vivre dans la position d’Olmütz, afin de s’y soutenir.

Il y avait encore des pays d’où il aurait été possible de tirer des vivres, mais ils étaient éloignés, les transports devaient faire un grand détour pour arriver, et il s’agissait d’un prompt remède. Les employés de l’administration et des vivres reçurent des ordres sans cesse réitérés, mais pas assez sévères, d’établir promptement sur différentes routes des colonnes de transports et de vivres. Mais en partie ces employés manquaient d’activité et de bonne volonté. Leur conception systématique ne sachant pas se mettre à la hauteur des circonstances, et en partie tout ce monde se trouvait dans de très grands embarras, par que les Russes ne relâchaient qu’un petit nombre de chevaux du pays qui conduisaient les transports, et qu’on manquait ainsi de moyens de charriage.

Le pain fut enlevé en chemin, et par détachements qui devaient servir d’escorte, et par un assez grand nombre de pillards qui se trouvaient sur les derrières de l’armée. Sous prétexte que celle-ci mourait de faim, la grande sévérité dont elle avait besoin ne fut pas vigoureusement maintenue. Le relâchement dans la discipline entraîne toujours des excès; ils sont suivis par la licence, qui donne beau jeux aux mécontents et à ceux qui ne savent pas supporter les nombreuses privations des guerres de nos jours.

On trouva qu’il était impossible de vivre dans la position devant Olmütz, et on se décida à l’abandonner pour attaquer l’ennemi. Nous allons suivre ces mouvements.

(Stutterheim, La Bataille d’Austerlitz).

Impressions du prince polonais Adam Czartoryski

Napoléon est maintenant certain d’avoir à livrer bataille. Les avant-gardes françaises ont ordre de battre rapidement en retraite si on les harcèle. Il faut avant tout donner l’illustration d’une armée sur la défensive. Les Russes viennent de bousculer à Wischau un escadron de cavalerie française, et pour des raisons stratégiques, Napoléon fait rétrograder légèrement son armée.

Le prince polonais Adam Czartoryski, confident, ami et ministre de l’empereur Alexandre, arrive à Olmütz et donne ses impressions :

Le peu de jours que l’on passa à Olmütz furent employés à s’entendre sur les opérations qu’il fallait entreprendre. Le colonel Weyrother, qui devait remplir l’office de chef d’état-major, avait déjà passé quelque temps à Pulawy et su gagner beaucoup d’ascendant sur l’esprit d’Alexandre. C’était un officier de grand courage et de grande science militaire, mais, comme le général Mack, se fiant beaucoup trop à ses combinaisons, souvent compliquées, et n’admettant pas qu’elles pussent être déjouées par l’habilité de l’ennemi. Sa présence à Olmütz et celle de Dologrouki, dont la bouillante ardeur agissait sur l’esprit de l’Empereur, ne contribuèrent pas peu à animer Alexandre. Sur ces entrefaites arriva le comte de Cobentzel. Il dit quelques paroles imprudentes sur la nécessité où se trouvent les souverains de se mettre eux-mêmes à la tête des armées dans les moments difficiles.

L’Empereur crut que ces paroles renfermaient un conseil et peut-être un reproche. N’ayant plus aucun égard à nos avis, il ne crut pas ce que nous lui répétions sans cesse, à savoir que sa présence enlèverait au général Koutouzoff les moyens de diriger avec prudence les mouvements de l’armée. Cela était d’autant plus à craindre, vu le caractère timoré du général et ses habitudes de courtisan.

L’Empereur se rendit donc au camp. Quant à moi, je fus retenu à Olmütz pendant quelques heures par l’expédition des affaires. Lorsqu’elle fut terminée, je me remis en route. A peu de lieues d’Olmütz, je trouvai l’empereur François et sa suite déjeunant sur le gazon; il m’engagea à prendre part au repas, invitation que je refusai, ayant hâte de rejoindre l’Empereur. Après avoir franchi quatre bonne lieues, j’arrivai à Wischau, que je trouvai occupé par les troupes russes; elles venaient d’y remporter un léger avantage sur un détachement français qui, en se retirant, avait laissé prendre quelques prisonniers. L’Empereur s’était porté en avant; tout le quartier général triomphait. Il s’agissait maintenant de savoir quel parti prendre en face de l’armée française.

Napoléon s’était avancé jusqu’à Brünn; ses avant-postes s’étendaient parallèlement aux nôtres. Je trouvai l’Empereur presque aux postes avancés de l’armée, très satisfait de l’avantage qu’il venait de remporter à Wischau et entouré de la jeunesse de l’armée.

On débattit s’il fallait, par un mouvement à gauche, se mettre à portée des archiducs Charles et Jean, qui avaient repoussé le prince Eugène en Italie, ou bien s’il était plus convenable de faire un mouvement à droite pour nous réunir à l’armée prussienne, qui, à un moment déterminé, devait se porter en avant et prendre part aux opérations des armées réunies. Le premier avis prévalut; ce fut en grande partie par l’influence de Weyrother et d’autres officiers autrichiens.

La résolution la plus importante à prendre eût été celle de s’absenter de tout mouvement offensif, car cela pouvait exposer à des incidents dangereux. Il fallait donner aux archiducs le temps d’arriver; il fallait surtout attendre que la Prusse se déclarât et que son armée se mît en mouvement, à quoi cette dernière était toute disposée.

Il n’était pas probable que Napoléon quitterait Brûnn et s’éloignerait de ses réserves et de ses moyens de subsistance; mais s’il avait commis cette faute, l’armée russe devait refuser la bataille et se retirer à la rencontre du secours qui lui venait. Ce fut là la grande faute commise par l’empereur Alexandre et ses conseillers d’alors. On s’imagina que Napoléon était dans une position dangereuse et qu’il était au moment d’effectuer sa retraite. Les avant-postes français avaient, en effet, un air d’hésitation et de timidité qui entretenait ces illusions, et il arrivait à tous moments, de nos avant-postes, des rapports qui annonçaient un prochain mouvement en arrière de l’armée française. On oublia l’extrême importance du moment présent, et l’on se préoccupa uniquement du désir de ne point laisser échapper une si belle occasion de détruire l’armée française et de porter, disait-on, un coup décisif et fatal à Napoléon.

Pendant notre mouvement de flanc, sur les hauteurs qui nous cachaient la position des Français, nous vîmes des officiers qui apparaissent, successivement, pour observer notre marche; elle s’accomplit avec ordre et plaça l’armée dans la position qu’elle voulait prendre. Nous étions donc à même de rétrograder en ordre pour nous rapprocher des archiducs, dans le cas peu probable où Napoléon aurait voulu nous suivre.

Le 1er décembre, jour où le comte Haugwitz arriva dans le camp de Napoléon avec l’ultimatum qui, en cas de refus, devait être suivi immédiatement de la coopération de la Prusse, l’empereur de Russie avait, dès le matin, reçu des lettres du prince Dolgorouki; il se plaisait à combler d’éloges Alexandre, qui avait, disait-il, augmenté par sa présence et sa brillante valeur le courage de ses troupes.

Tout annonçait, dans l’armée française, la résolution de battre en retraite. Un mouvement en avant fut donc résolu pour profiter de cette disposition de l’ennemi. Bien que l’on ne s’attendait pas à rencontrer de la résistance, cependant on résolut, à tout hasard se déterminer la marche de quelque corps d’armée. Le colonel Weyrother fut chargé de ce travail; il connaissait parfaitement le terrain, qu’il avait maintes fois parcouru et même mesuré. Je ne assistai pas à ces délibérations, qui ne s’accordaient nullement avec mes opinions. Je ne sais si le général Koutouzoff y fut admis, mais assurément, il n’y fut pas écouté.

(Prince Adam Czartorysky. Mémoires).

Mikhaïl Koutouzov (peinture de R. Volkov, 1813).
Mikhaïl Koutouzov (peinture de R. Volkov, 1813). Image libre de droit.
La ville d'Olmutz, une gravure ancienne.
La ville d’Olmutz, une gravure ancienne. Image libre de droit.

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