Le 6 mai 1950, la ville de Rimouski brûlait
Vers 6 h 30, en laissant ma demeure située sur les bords du fleuve, j’aperçus sur la rive ouest de la rivière un immense incendie qui faisait rage dans les cages de planches de la compagnie Price. C’était un incendie effroyable à voir. Je n’hésitai pas alors à réaliser les grands dangers que courait la ville de Rimouski.
C’était au soir du samedi 6 mai 1950. L’avocat rimouskois Perreault Casgrain, ancien ministre dans le cabinet du libéral Adélard Godbout, s’apprête à abandonner son domicile comme des centaines d’autres résidants de Rimouski vont le faire au cours des heures suivantes, pour fuir ce qui reste dans la mémoire collective comme la Nuit rouge.
En 1950, Rimouski compte tout juste 11 500 habitants. L’économie gravite essentiellement autour de l’industrie du bois. La compagnie Price Brothers est de loin à cette époque le plus important employeur de la ville. En saison, la scierie Price donne du travail à près de 600 personnes.
La journée du 6 mai avait débuté normalement. Excepté que ce jour-là, la température est anormalement élevée pour ce temps de l’année.
Durant l’après-midi, le thermomètre fracasse même un record, atteignant 25 Celsius. Le temps est aussi très sec et les vents soufflent à près de 100 km/h.
Vers 18 h, un violent coup de vent casse trois poteaux et les jette au sol. Les fils électriques rompus tombent sur les cages de bois en produisant une marée d’étincelles qui embrasent les 15 millions de pieds de bois de sciage empilés en bordure de la rivière Rimouski.
La sirène à incendie donne l’alarme dans toute la ville. Des employés de la Price Brothers, puis les pompiers tentent d’éteindre le brasier, mais ils n’y arrivent pas tellement la chaleur qui s’en dégage est intense.
Les pompiers battent en retraite et reviennent sur la rive est de la rivière où des « tisons gros comme des torches », transportés par les forts vents, pleuvent sur les toits de bardeaux des maisons du centre-ville. Une maison est à peine consumée qu’elle met le feu à sa voisine.
« On a alors compris que c’était le début d’une catastrophe », relate un témoin impuissant. L’évacuation du quartier est immédiatement ordonnée. Les résidants partent rapidement, apportant avec eux l’essentiel et quelques souvenirs. La circulation est dense. Les curieux sont aussi nombreux à affluer vers la ville en flammes.
« Bientôt la ville devint une véritable mer de feu. Le spectacle est indescriptible », rappelle le regretté avocat Casgrain. L’hôpital, l’orphelinat, l’hospice et de nombreux couvents et monastères sont à évacuer. Des centaines de personnes, parfois en perte d’autonomie, sont à déplacer de toute urgence. L’intervention est d’envergure, mais se déroule rondement.
Près de sept heures après le début de l’incendie, le quartier Saint-Germain est presque désert.
Les évacués trouvent refuge chez des proches, tandis que les personnes malades ou âgées sont amenées dans les autres communautés religieuses et hôpitaux de la région.
Un sombre bilan
Au lendemain de l’incendie, la ville offre un triste portrait. Le bilan est lourd : près de 20 millions de dollars de dégâts. Un total de 230 immeubles ont été entièrement détruits et près de 2500 personnes se retrouvent à la rue. Heureusement, l’incendie n’a fait aucun mort.
L’aide aux sinistrés s’organise rapidement sous l’égide de la Croix-Rouge et de l’armée canadienne.
De l’argent est aussi envoyé d’un peu partout dans le monde, notamment du Vatican, des États-Unis et d’Angleterre, pour financer les secours.
Après l’incendie, une autre panique a pris le pas sur le drame vécu. La crainte d’un refus de payer des compagnies d’assurances. « Le monde répétait qu’étant donné qu’il s’agissait d’une conflagration, les compagnies n’avaient rien à payer et j’avais déjà la visite de gens qui menaçaient de se suicider avec leur famille s’ils n’étaient pas payés », raconte Maurice DeChamplain, propriétaire en 1950 d’un bureau d’assurances à Rimouski.
À cette époque, la majorité des propriétaires n’étaient assurés qu’à 40 % de la valeur totale de leur résidence. L’incendie de Rimouski a fait changer cette situation partout au Québec et a aussi encouragé le rehaussement des normes de construction des bâtiments.
L’enquête sur la conflagration a révélé que les poteaux électriques à l’origine de l’incendie étaient pourris, rongés par les fourmis. Les installations de la compagnie Price pour combattre l’incendie dans sa cour à bois étaient quant à elles inopérantes.
La compagnie d’électricité régionale, propriété de l’homme d’affaires Jules A. Brillant, n’a pas fait l’objet de poursuites judiciaires pour sa responsabilité dans l’incendie et les compagnies d’assurances se sont montrées bon joueur en versant les indemnités prévues.
Bien involontairement, les compagnies d’assurances ont fait une petite fortune avec l’augmentation des primes payées par les propriétaires désormais assurés à la pleine valeur de leurs biens.
La ville s’est relevée de cet incendie mais, 50 ans plus tard, Rimouski n’a toujours pas repris son cachet d’antan…
(Texte d’Alexandre Gagné, publié dans le journal La Presse le 6 mai 2000).
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