Art et Artistes

La céramique

La céramique

La Céramique

par PIERRE NORMANDEAU

À l’occasion du Deuxième Congrès de la Langue Française en Amérique tenu à Québec en juin 1937, j’ai pu démontrer que la céramique fut, jadis, assez florissante dans notre province. Quelques-unes des fabriques étaient organisées comme de véritables usines industrielles, mais la majorité étaient artisanales. Au commencement de ce siècle elles étaient presque toutes disparues ; quelques potiers vivent encore qui y travaillèrent et par eux nous pouvons connaître un peu la vie de ces établissements.

Je n’ai pas le dessein d’analyser ici les causes de la disparition de cette industrie (ou de cet art) mais de dire quelques mots des modestes essais de fabrication plus récents et de leur extension possible dans la province.

Les multiples aspects que peut prendre la matière céramique : porcelaine, grès, faïences et terres – cuites de toutes sortes, ses qualités décoratives, son caractère de dureté et, dans certains cas, de propreté (par exemple de dallage du sol de carreaux de grès) lui ont fait la part très large dans la vie moderne. La poterie est appréciée aujourd’hui dans tous les pays, comme matériau de construction ou de revêtement, sous forme d’objet utilitaire et comme expression d’art. Au Canada, l’intérêt que nous manifestons dans tous ces domaines est limité. Nous utilisons largement la brique à l’extérieur, c’est une matière idéale sous notre climat, ainsi que le carreau dans les salles de bains, mais de formes et de dimensions standardisées.

Nous ignorons les autres possibilités qu’offrent la terre – cuite et la faïence. Les objets d’art céramique importés de l’étranger, œuvres d’artistes originales ou de série, sont appréciées en Québec, mais on ne peut pratiquement trouver dans la province, aucune manifestation ou tentative d’expression nationale.

Il a été dit, pour excuser notre peu d’activité dans le métier céramique, que nous ne possédons pas de belles matières premières. Notre sous-sol n’est peut-être pas très riche en argiles fines, mais n’y aurait-il pas lieu, considérant les commodités du transport moderne, d’employer, en partie, des matières de l’étranger, comme cela se pratique par exemple à l’usine de produits sanitaires de Saint-Jean-d’Iberville ?

Nous avons des sables siliceux, de beaux feldspaths, et, en moindre quantité, du kaolin qui n’est pas partout exploité. Il y aurait là suffisamment pour l’établissement d’une fabrique de porcelaine, matière très appréciée et pour ainsi pas fabriquée aux États-Unis. Cette industrie a l’avantage de pouvoir employer largement le travail manuel.

Les argiles, dites communes, que nous possédons en abondance peuvent servir à faire des choses très belles. L’on peut voir, actuellement, dans les grands magasins de Montréal, de ia poterie faite avec de semblables argiles, services de table, vases, etc., qui vient d’Italie. Elle se distingue de la production courante par son cachet d’originalité et se vend fort bien.

La Canadian Handicrafts Guild qui cherche à encourager nos artisans en les groupant et en organisant la vente de leur production, présente chaque année à son exposition à Montréal, une section de céramique où il est rare de voir des pièces de la province de Québec. Elles sont pour la plupart l’œuvre de potiers – amateurs ou d’artisans de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick (où il y a une usine bien connue), de l’Île-du-Prince-Édouard et de quelques provinces de l’Ouest. On pouvait voir, cette année, un certain nombre de pièces, œuvre d’un groupe de potiers du Nouveau-Brunswick qui montraient en dehors de leur valeur artistique, une qualité céramique que nous n’avions pas encore remarquée dans la production canadienne.

En 1936, un potier amateur de Shawinigan obtenait à l’exposition de la Guild, un premier prix pour des plats, des coupes et quelques vases décorés de motifs floraux et de figures d’animaux stylisés.

Quelques années auparavant s’était créée dans la petite ville de la Mauricie une production qui s’est vendue un peu partout dans la province. Les débuts remontent à six ou sept ans alors qu’un fils de céramiste belge, M. Miège, qui était là dans un autre but, exécuta à ses heures libres, et avec l’argile de l’endroit qui se montrait propice, des pièces qu’il cuisit. Le professeur de chimie de l’École Technique de cette ville, familiarisé par ses études avec la préparation et la cuisson des émaux, seconda M. Miège et continua après celui-ci à fabriquer, aidé par quelques-uns de nos compatriotes qu’il avait instruits du métier.

Le directeur de l’École des Arts Domestiques de Québec, en ce temps M. Bériau, eut alors l’idée d’adjoindre une section de céramique à son École, entrevoyant là une occupation intéressante et rémunératrice pour nos paysans pendant les longs hivers. La matière première est à la portée de la main, elle peut être utilisée sans adjoint d’aucune sorte et il est possible de fabriquer à la main et sur le tour, divers objets, utilitaires ou décoratifs, qui seraient recouverts ensuite d’une glaçure de composition simple, à la façon des artisans des vieux pays d’Europe. Il engagea un céramiste d’origine Suisse, M. Chauchard, qui fit pendant quelques années des essais avec plusieurs de nos argiles et de nombreuses poteries que l’on peut voir dans les bureaux de Tourisme du gouvernement de la province de Québec. Mais, à notre connaissance, il ne s’est pas encore donné de cours à l’École des Arts Domestiques.

À Toronto, l’Université offre un cours de céramique et à l’École Technique de la même ville il y a une classe de céramique où enseignent quelques artistes et qui a formé plusieurs artisans intéressants. Il y a dans la Ville – Reine un centre actif qui commence à être connu et apprécie même en dehors de l’Ontario.

En Saskatchewan on a découvert récemment des dépôts de belle argile et des études et des essais sont faits à l’Université de cette province.

Nos voisins les Américains, connus surtout pour leurs réalisations de grande envergure n’ont cependant pas négligé les entreprises plus modestes, et il existe aux États-Unis de nombreux ateliers artisanaux ou semi-industriels. L’art céramique est encouragé dans ce pays non seulement par l’achat et l’exposition dans les Musées de poteries de la Chine ancienne, mais par un vif intérêt envers une production vivante, œuvre de céramistes d’art, qui s’est développée avec l’appui de l’industrie. Il y a des concours annuels dotés de beaux prix en argent, et des expositions dans tous les États, organisées par le Musée de Syracuse.

À part l’enseignement supérieur qui se donne dans les universités, il y a des Écoles d’Art industriel qui initient leurs élèves à la céramique en même temps qu’aux autres métiers d’art: ébénisterie, ferronnerie, etc. Et, dans plusieurs « High-Schools », la céramique est pratiquée au même titre que le dessin. On considère avec raison qu’elle constitue un exercice merveilleux pour le développement de l’esprit créateur de l’enfant et pour la formation de son goût. L’élève fait naître sur le tour, à volonté, les formes les plus diverses qui prendront au feu de cuisson, avec des effets imprévus, des couleurs variées.

Depuis février 1936 j’ai l’honneur d’enseigner la céramique à l’École des Beaux-Arts de Montréal à quelques élèves ayant déjà fait un stage dans les cours de dessin et de décoration de l’École.

L’installation de l’atelier est modeste, cependant, d’accord avec le directeur de l’École, M. Charles Maillard, nous donnons aux élèves un cours général sur la céramique tout en recherchant les fabrications particulières pouvant convenir à nos matières premières et aux débouchés commerciaux qui peuvent s’offrir chez nous, maintenant, pour ce genre de produits. Nos élèves composent formes et décors et fabriquent les modèles, les moules, les pâtes et les couleurs. Nous comptons présenter à la fin de cette année diverses pièces toutes façonnées avec nos argiles mais suivant divers procédés qui seront mis au point petit à petit. Nous possédons actuellement deux fours pour les cuissons, un grand ne pouvant cuire que les terres – cuites et les faïences, c’est-à-dire à des températures relativement basses. (1000 à 1100° C).

Pour la cuisson des grès et des porcelaines, (1300 à 1400° C), nous n’avons qu’un petit four et nous devons nous contenter de faire des essais de ces matières en petites plaquettes. Les quatre premiers élèves auront terminé bientôt le cours qui est de deux ans et ouvriront dans le courant de l’année des ateliers. Nous croyons que leur production répondra à un besoin et méritera l’encouragement du public.

Pierre Normandeau.

Juin 1938, Les Diplômés.

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Lonicera tatarica. Image libre de droit.

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