Art et psychiatrie

Art et psychiatrie

Les rapports de l’art et de la psychiatrie étudiés jusqu’à ces dernières années sur le plan pittoresque et anecdotique tendent maintenant à être repensés d’une part en vue d’une compréhension profonde des mécanismes psychopathologiques et de leur traitement, d’autre part, dans un essai de compréhension de l’origine de l’art et de la signification de certaines œuvres.

Il est certain que ces méthodes, malgré l’effort conjugué d’un grand nombre de chercheurs (psychiatres, psychologues, pédagogues, critiques d’art, etc.) n’en sont encore qu’à leur début : les arts picturaux et en particulier le dessin constituent le champ d’investigations le plus étendu ; la musique, riche de promesses, n’a guère été exploitée (et très empiriquement) que par les rééducateurs de la psycho-motricité (à la recherche de rythmes favorables) et par les techniciens des thérapeutiques occupationnelles.

C’est la valeur et l’intuition de ces techniciens qui leur ont permis d’arriver parfois à des résultats remarquables. Nous n’englobons pas dans cet article la littérature ni les écrits intimes.

I. Origine et psychogenèse de la création artistique. – La préhistoire et l’art des peuplades sous-évoluées nous apportent une mine de documents précieux. Si l’on discute encore des conditions dans lesquelles ont pu naître les activités susceptibles d’être qualifiées d’artistiques, il est par contre universellement admis que ces activités se sont mises très tôt au service de représentations magiques (pour beaucoup c’est de ces représentations qu’elles sont nées) et qu’elles sont demeurées liées très fortement aussi bien dans les motifs dits décoratifs que dans les sculptures, gravures et peintures. Les correspondances (au sens baudelairien du terme) intuitivement senties entre d’une part les Matières, les Formes, les Rythmes, les Couleurs et d’autre part les Forces à capter ou à neutraliser, inspirent visiblement l’Homme qui veut chasser ou pêcher, abattre un ennemi, rendre ses compagnes fécondes, etc. Reste à montrer comment ces intuitions ont été guidées, quelle est la part de l’observation, de l’imitation, de l’identification, de l’émotion, du hasard; comment se sont formés les symboles, les mythes, au service de quels rites ils ont été utilisés et dans quel environnement; de quelle manière le sentiment esthétique pur a pu se dégager et comment il s’est renouvelé tout au long de l’Histoire. Autant de problèmes parmi bien d’autres qui doivent être médités si l’on veut comprendre l’évolution de l’art en général et plus particulièrement les rapports de la création artistique avec la psychopathologie.

L’homme, tout au long de son existence et les groupes humains tout au long de leur Histoire, se sentent sollicités par deux attitudes opposées: l’une conformiste, conservatrice, méfiante envers toute innovation, tend à maintenir et à organiser leur sécurité; l’autre, avide d’expressions nouvelles, tend vers le dépassement. L’intelligence et la raison dominent la première (analogue à l’Apollonienne de Nietzsche) tandis que la seconde (Dionysienne de Nietzsche) n’hésite pas, à l’occasion, à recourir aux illuminations de l’ivresse et du délire. Cette distinction, qui serait bien entendu à nuancer et à compléter, laisse apercevoir les conditions psychologiques qui président aux deux catégories d’artistes (les organisateurs, les créateurs) et aux catégories correspondantes d’amateurs. L’illumination du Créateur n’a d’ailleurs pas besoin d’un toxique ou d’une maladie pour se manifester. Le renouvellement recherché trouve des sources inépuisables dans tout ce qui l’écarté de la froide raison : le rêve, voie royale d’accès vers l’inconscient Freudien; les Mythes vivants, reflet de l’Inconscient collectif Jungien ; les émotions et les passions qui assurent la prééminence du Monde affectif, celui qui nous ramène à la magie de l’Enfance et du Primitif.

Il n’y aura donc pas de barrière entre les productions pathologiques et toutes celles qui puisent aux mêmes sources : le monde instinctivo-affectif, la pensée et les conduites magiques.

Il n’y en a pas non plus entre l’Apollonien qui se réclame de la raison et le Dionysien qui en rejette la servitude; le souci prévalent de sécurité pourra entraîner l’apollonien à des moyens de défense qui n’ont plus de la raison que l’apparence et qui deviennent rationalisme morbide, géométrisme, paralogisme, symbolisme froid, abstractions déréalisantes: c’est-à-dire Schizophrénie. Pour la psychogenèse voir aussi, plus loin, notre article «Dessin chez l’enfant».

II. L`Art pathologique. – Il a fait l’objet de nombreux travaux dont le plus important reste l’ouvrage de Prinzhorn (1922); signalons en France les études d’A. Marie, Reja, Vinchon, Ferdiere et le très bel article de H. Ey (sur la Psychiatrie devant le Surréalisme).

Les déments ne nous offrent en général que des productions absurdes et maladroites, des griffonnages désordonnés, parfois des figurations érotiques (surtout les P. G. au début). Il en est de même pour les arriérés avec cependant une note plus puérile ; toutefois, nous avons pu recueillir chez des débiles profonds de 10 ans (Q.I.=0,60) et de 8 ans (Q.I.=0,55) des productions remarquables par leur virtuosité ; productions témoignant d’un extraordinaire décalage entre l’intelligence esthétique et le niveau intellectuel global; l’élément schizoïde de leur personnalité semblait expliquer leur passion du dessin et la polarisation de leur activité psychique vers ce seul domaine.

L’épileptique figure volontiers des scènes violentes ou mystiques. Mme Minkowska oppose l’épileptoïde chez lequel prédomine le monde sensoriel (l’accent mis sur le concret, le mouvement, la couleur violente avec tendance à la concentration, à la condensation, à l’agglutination) au schizoïde chez lequel prédomine le monde abstrait, avec souci de décoration, de symbolisme et d’autre part, tendance à la dispersion, à la dissociation. Van Gogh représenterait d’une manière caractéristique le premier type et Seurat le second.

Si nous entrons dans la schizophrénie, aux tendances précitées, s’ajoutent la recherche de symétrie et d’équilibre, les stéréotypies, le maniérisme et surtout la multiplicité des encadrements et des détails dont la composition est littéralement bourrée (Ferdiere). L’exégèse de ces œuvres y montre les particularités de la pensée autistique avec ses recours habituels à la Magie.

Les dessins de paranoïaques reflètent, à l’occasion leur orgueil, le thème explicite ou symbolique de leurs revendications, de leurs rancunes, de leurs inventions morbides, etc.

Le processus hallucinatoire pourra s’exprimer par des images fantastiques, plus ou moins naïves, et maladroites, concrétisant plus volontiers des visions mystiques ou érotiques. L’usage des toxiques peut le provoquer expérimentalement, engendrant, en même temps, un certain type de désagrégation psychique étudiée, à propos du haschich par Moreau de Tours; d’une manière plus courante, l’alcool vient stimuler un instant l’artiste impuissant pour le précipiter ensuite dans la stérilité définitive.

Les déprimés ne seront guère disposés à peindre ou dessiner, mais le maniaque aimera remplir les murs et les papiers dont il dispose de graffiti interminables et de dessins rapides où il projette son ironie, son excitation sexuelle, ses idées de grandeur.

Concluons cette brève revue par les aphorismes de H. Ey: la folie ne produit pas d’œuvre d’art, elle n’est pas créatrice. Elle libère la matière esthétique, le noyau lyrique immanent à la nature humaine.

Elle peut cependant coexister avec certaines formes d’activité esthétique ou leur imprimer des caractères structuraux particuliers.

III. Les artistes psychopathes. – C’est de ces principes et de la formation des éléments dynamiques et structuraux de la personnalité qu’il faudra s’inspirer pour les étudier.

Rappelons l’étude classique de Dupré sur la mélancolie de Hugo Van Der Goes, la querelle célèbre sur la folie de Greco ; les travaux de Doiteau et Leroy, Fr. Minkowska, Jespers, W. Reise sur Van Gogh. Proposons aux chercheurs l’énigme des vies mouvementées et des crimes de Benvenito Cellini et du Caravage, le délire terminal de Gauguin et de Meryon, la toxicomanie de Modigliani, le cas de Carpeaux, le suicide de Gros et de Pascin, les traits de caractère de David, Delacroix, Cezanne – pour ne point parler des vivants.

IV. Art-thérapie. – Les dessins et travaux artistiques, spontanés ou demandés par les médecins, contribuent largement aux psychothérapies de l’enfant, en tant que moyen d’exploration du psychisme et en tant que moyen d’abréger les conflits mis à jour. C’est surtout chez l’enfant que cette technique a été employée.

Elle a été largement utilisée par le peintre anglais Adrian HILL comme thérapeutique occupationnelle et de réhabilitation dans les hôpitaux pendant la guerre de 1939-44 soit sous forme de bibliothèque circulante de tableaux, créant chez les malades et les infirmes un puissant centre d’intérêts et de dépassement, soit sous forme de création artistique libre ou guidée.

Dans les maladies mentales, l’art spontané représente habituellement une tentative personnelle de guérison, mais tentative souvent avortée ou insuffisante. Sous la direction d’un thérapeute averti, elle amène bien des malades à calmer leur anxiété et à se resocialiser, parfois à trouver une vocation libératrice. Elle peut transformer l’ambiance d’un service, aider à un meilleur contact avec le personnel, à de meilleures relations humaines entre malades (Bieber et Herkimer-Bergeron et Volmat).

Quant à la musique, utilisée par Seguin, dès 1840, pour la rééducation des idiots, assez largement intégrée dans l’activité des centres de rééducation, elle offre des ressources du même ordre que les arts picturaux, mais n’a pas encore été exploitée systématiquement chez les adultes.

Sous forme de chœurs et d’art chorégraphique, elle est une intéressante voie de réadaptation à une vie de groupe.

H. Aubin.

Voir aussi :

Art et psychologie
« Toute science commence comme philosophie et se termine en art. » (Will Durant, écrivain et philosophe américain. Histoire de la philosophie). Image : © Megan Jorgensen.

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