Sarah Bernhardt à Québec
C’est à l’âge de 61 ans que Sarah Bernhardt, la célèbre actrice française, vient pour la première fois dans la ville de Québec. Ce sera son unique séjour dans cette ville.
En effet, le personnage que l’actrice choisit d’incarner pour sa tournée au Québec, le rôle de Marguerite Gautier dans La Dame aux Camélias, suscite une grande fureur de la part du clergé. Le 28 novembre, dans une lettre pastorale publiée dans L`Événement, l’archevêque de Québec, Mgr Paul Bégin, interdit aux diocésains d’assister aux représentations de Sarah Bernhardt.
L’actrice ne se laisse pas faire. En effet, elle déclare que le Canada est un beau pays, mais qu’il lui manque des hommes. Elle reproche aux Canadiens français beaucoup de choses, entre autres leur position soumise au joug du clergé catholique. Ses propos sont publiés dans la presse, notamment dans L`Événement du 5 décembre 1905.
Il s’ensuit que plusieurs prêtres déclarent Sarah et son théâtre « ennemis de la morale chrétienne. »
Le 29 novembre, Mgr Begin fait un discours suppliant «les pieuses familles, si attachées encore au devoir et à la vertu, d’être sur leurs gardes, de s’abstenir de ce qu’elles sauront être pour elles une occasion de faute et de préférer à tout, l’honneur de leur foyer et le salut de l’âme de leurs enfants.» Bref, c’est un appel au boycott qui ne cesse de s’amplifier jusqu’au 4 décembre 1905, jour de la première.
Sarah Bernhardt donne deux représentations, interprétant La dame aux camélias ; Angelo, tyran de Padoue et Adrienne Lecouvreur.
Elle remanie le texte d’Adrienne Lecouvreur en faisant des allusions très transparentes à l’Église, ce qui provoque une nouvelle vague de colère des autorités cléricales.
Cependant, la salle de l’Auditorium était comble lors des deux représentations, malgré de nombreuses mises en garde et condamnations. Mgr Bruchési, archevêque de Montréal, exprime sa déception et son incompréhension: «…un grand nombre n’ont tenu aucun compte de notre parole et sont allés entendre des drames dans lesquels l’Église est insultée et la morale chrétienne foulée aux pieds…».
Le 5 décembre, avant le spectacle, un groupe de manifestants partisans d’Henri Bourassa protestent au nom du respect de la doctrine catholique. Il y a des injures, des bousculades et des jets de projectiles en direction des acteurs.
Madame Bernhardt se voit obligée de mettre un terme à sa tournée au Québec.
La presse américaine, européenne et même la presse canadienne sont scandalisées par «l’accueil» fait à la célèbre artiste par les Québécois.
Le jour du départ de la divine Sarah, une foule de plus de trois cents esprits échauffés se rend à la gare de Québec en scandant «À bas la Juive!». Dans l’altercation qui suit, trois membres de la troupe de Sarah Bernhardt sont blessés.
Le lendemain, le 6 décembre, le Soleil et l’Événement publient un poème ouvertement antisémite dont l’actrice est l’«héroïne», composé par un groupe d’étudiants catholiques du Séminaire de Québec.
Le premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier, réagit immédiatement et présente des excuses officielles à l’actrice et à son entourage. Quant à Henri Bourassa, il s’excuse publiquement pour la démonstration d’hostilité de ses compatriotes et condamne la conduite des gens qui se disent ses partisans.
Cela n’empêche qu’en juin 1911, quand Sarah Bernhardt devait jouer à l’Auditorium de Québec, le théâtre fut fermé en raison de restaurations «très urgentes» et la tournée de la tragédienne fut annulée.
Évidemment, Sarah Bernhardt ne revint jamais au Québec…
Voir aussi :
- L’Auditorium (le Capitole de Québec)
- Théâtre au Québec
- Religion au Québec
- La gare de Québec
- Charles Dickens, metteur en scène au Québec
- Enrico Caruso au Québec
- Histoires de Québec (pour les curieux)
- 400e anniversaire de la ville de Québec